samedi 1 octobre 2016

Une histoire de la propreté


De nos jours, se laver quotidiennement est une habitude qui va de soi et l'hygiène de manière générale est un impératif presque obsessionnel dans nos sociétés. Nous savons tous pourtant que cela n'a pas toujours été le cas. Ce que l'on sait moins, c'est que l'histoire de la propreté corporelle est loin d'avoir été une évolution linéaire dirigée vers un constant progrès. Au contraire, c'est une histoire faite d'allers et de retours entre la maniaquerie la plus extrême et la négligence pure et simple, et toutes les attitudes intermédiaires. On sait que les Romains étaient de grands férus des bains publiques, et qu'ils se lavaient plusieurs fois par jour; mais saviez-vous par exemple que les bains publiques étaient aussi très populaires au Moyen-Âge? Ce n'est qu'à la suite de plusieurs épidémies de peste qu'ils ont été abolis, et que l'humanité est entrée dans l'ère la plus sale de l'histoire (on connaît tous la réputation de Louis XIV qui n'aurait pris que deux bains de toute sa vie...). Car durant environ deux siècles (du 16ème au 18ème), l'eau est devenue synonyme de maladie, une substance dangereuse qui débouche les pores de la peau et laisse s'infiltrer les microbes.

Tout cela, je l'ai appris en lisant le livre de Katherine Ashenburg, The Dirt on Clean, qui retrace l'histoire de l'hygiène corporelle depuis le temps des Romains jusqu'à nos jours. Ce fut une lecture aussi instructive qu'étonnante et amusante! Ce que j'en ai tiré va au-delà de l'apprentissage de simples faits: il m'a ouvert les yeux sur la fragilité de ce que l'on considère comme allant de soi. Le concept de propreté est en réalité tout relatif et n'a fait que changer, tandis que les croyances, conceptions et le rapport au corps oscillaient. Ce qu'une période de l'histoire considérait comme propre était entièrement contesté et remplacé par une autre conception à la période suivante. On voit ainsi l'étonnant parcours de l'humanité en matière d'hygiène, on découvre d'où l'on vient, et on remet en question nos propres valeurs en la matière.

Pour un Romain, se laver signifiait transpirer, s'enduire d'huile, se baigner durant plusieurs heures pour ensuite s'ôter sa couche d'huile et de transpiration à l'aide d'un ustensile en métal qui raclait la peau. Pas de savon à l'horizon. A l'inverse, au dix-neuvième siècle par exemple, on ne voyait pas le besoin de se mouiller le corps tout à la fois: un lavement à l'éponge et à la bassine était amplement suffisant (un témoignage raconte l'étonnement d'une dame entrant dans une baignoire pour la première fois de sa vie: elle se serait exclamée n'avoir jamais été mouillée toute entière en une fois!). Tandis que sous l'Ancien Régime, changer régulièrement de chemise de corps était le sommet de la propreté.

A nos yeux, tout cela peut paraître effarant. Se laver sans savon? Ne pas du tout se laver? Vivre dans un monde où personne ne se lave? On en a des frissons et le nez qui se retrousse. Ce que l'on ne peut s'empêcher de penser, c'est que les gens devaient sentir affreusement mauvais. A cela, Katherine Ashenburg a une réponse aussi concise que perspicace: "quand tout le monde sent, personne ne pue". Actuellement, nous trouvons cela intolérable de sentir les odeurs corporelles d'autrui, la raison étant qu'on n'y est pas habitués. Nous vivons dans un monde ultra-hygiénique, nous nous efforçons de masquer la moindre odeur naturelle (à grands renforts de savons, parfums, diffuseurs dans nos maisons, déodorants,...) alors quand une effluve de transpiration perce malgré tout ce barrage olfactif, c'est l'horreur! Notre nez n'y est pas habitué, et notre esprit a été éduqué à trouver cela révoltant. Ce à quoi on est habitué, ce qui est la norme, est accepté sans autre forme de réflexion. A chaque ère, les gens vivaient de la façon qui leur semblait entièrement normale.

Il est tout à fait normal pour nous d'être choqués par le manque de propreté de nos ancêtres. Mais de la même manière, les médecins du dix-septième siècle qui mettaient en garde contre les risques de l'eau sur la santé, étaient horrifiés par les anciennes habitudes des Romains qui se lavaient à tout va. Ce qui cause la surprise, voire l'horreur, quant aux habitudes hygiéniques qui diffèrent des nôtres, c'est que l'on considère notre vision des choses comme la bonne. Nous avons raison, ils ont tord. Or, ce qu'une étude telle que celle présentée dans le livre de Katherine Ashenburg nous apprend, c'est que justement ces croyances sont toutes relatives. Puisqu'elles ne font que changer, sont sujettes à des influences telles que la religion et son directement liées à une conception plus vaste du monde, elles ne sont jamais définitives. Nous pouvons être certains que le point de vue actuellement accepté sur l'hygiène a de grandes chances de changer dans les siècles à venir. Et les hommes du futur regarderont avec dédain et étonnement nos habitudes de propreté.

L'étude de l'histoire ne sert pas uniquement à s'instruire, mais aussi et surtout à éclairer l'ordre établi du présent et à le regarder sous une nouvelle perspective. C'est exactement ce que fait ce livre, richement fourni en anecdotes et basé sur des documents authentiques. Il illumine le passé et apporte une lumière nouvelle sur le présent. On en ferme la dernière page avec cette question troublante: finalement, qu'est-ce que la propreté?

jeudi 21 juillet 2016

A Connecticut Yankee at King Arthur's Court: quand Mark Twain nous fait voyager dans le temps


Que se passe-t-il quand un mécanicien du dix-neuvième siècle se retrouve accidentellement transporté au Moyen Age de la cour du roi Arthur et ses chevaliers? Il se passe pas mal de scènes insolites, de quiproquos résultant d'un inévitable choc des cultures et beaucoup, beaucoup d'aventures. Mais quand ledit mécanicien se met en tête de moderniser le sixième siècle en y apportant les avancements technologiques et sociaux de son époque, alors l'Angleterre est sans dessus-dessous, ses habitants décontenancés et le lecteur plus amusé que jamais. Ce sont ces folles péripéties que Mark Twain décrit dans ce roman, avec humour, détachement et une bonne dose d'ironie.

Hank Morgan, le héro, a plus d'un tour dans son sac. Après s'être sauvé de justesse des flammes du bûcher en prédisant un éclipse du soleil, le roi et sa cour le prennent pour un mage puissant (plus puissant, sans doute, que Merlin lui-même, lequel est constamment tourné en ridicule dans ce récit). Il fabrique de la poudre explosive, répare un puis dont l'eau est réputée sacrée avec force effets spectaculaires, il installe des lignes téléphoniques qui lui permettent de prévoir l'arrivée du roi dans un village (ce qui le hisse au rang de devin), etc. En bref, il devient l'homme le plus influent du royaume, bras droit du roi Arthur et libre dans ses agissements et entreprises. Ce pouvoir et cette liberté lui permettent de mettre en place un immense projet qui va révolutionner l'Angleterre médiévale: il va apporter la civilisation du dix-neuvième siècle.

Tout cela résulte bien sûr en un récit palpitant, plein d'aventures et de rebondissements. Les rencontres qui ponctuent les périples de Hank sont toutes plus cocasses les unes que les autres et le décalage entre lui et les habitants de Camelot est source de nombreuses scènes désopilantes. L'histoire est racontée par Hank lui-même, et son ton ironique apparenté à son point de vue d'Américain des années 1880 convergent en un humour décalé, perçant et satirique. Le monde de Camelot et ses traditions vus à travers le yeux d'un Yankee, c'est un univers étrange, qui fourmille d'absurdités et d'aberrations en tous genres. Tout le système est mis au pilori, et son jugement est sévère, mais, il faut le dire, très souvent juste...

Une des illustrations qui apparaissent dans le livre (par Dan Beard)
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Mais si ce roman est captivant et drôle à la fois (ce qui en soit en ferait déjà un excellent divertissement), il est aussi intelligent et donne à réfléchir. On peut tirer beaucoup de choses de ce livre, outre l'amusement qu'il ne peut manquer de susciter. Critique des sociétés anciennes et modernes, réflexion sur les véritables apports du progrès, remise en question de l'ordre établi, considération sur l'égalité des hommes entre eux (ou sur ce manque d'égalité)... Mais ce qui transparaît le plus clairement, au final, c'est que nous sommes tous des produits de la société dans laquelle nous avons évolué. Croyances, habitudes, façon de voir le monde... tout nous vient de cette "éducation" culturelle, à laquelle on n'échappe pas. Il a beau se moquer des moyenâgeux et de leur obscurantisme et leur naïveté, l'idéalisme de Hank et sa confiance inaltérable dans le progrès ne sont peut-être pas si éloignés de la foi aveugle qu'il déplore tellement chez eux. Et ni Hank, ni ses amis du Moyen Age, n'ont plus raison les uns que les autres.

J'ai lu quelque part que les histoires de voyages dans le temps ont déjà été tellement écrites que plus personne ne devrait s'y atteler à moins de n'avoir une idée innovante en la matière. Ce roman a été publié en 1889, et doit sans doute être l'un des premiers du genre à avoir jamais été écrits, et pourtant, s'il venait d'avoir été publié, je me serais dit: "voilà un roman innovant, qui réinvente et fait quelque chose de constructif du classique voyage dans le temps". Plongez-vous dans ce livre et vous partirez pour un voyage à travers les siècles qui vous entraînera du rire au larmes, sera aussi ludique qu'instructif et aussi divertissant que provocant.


mardi 5 juillet 2016

Quelques lectures d'été


C'est enfin l'été, et quand le soleil pointe le bout de son nez, on sent déjà la promesse des vacances, des après-midi à se prélasser dehors, des limonades avec des glaçons et autres plaisirs de la saison chaude. Que l'on parte ou non, l'été apporte inévitablement un souffle de dépaysement et a cette fragrance si particulière de douceur de vivre. Que peut-on rêver de mieux que d'accompagner la période estivale d'une lecture qui capture parfaitement cette atmosphère à la fois chaude et légère? Voici une petite liste des romans qui, selon moi, évoquent merveilleusement bien l'été et en forment une merveilleuse toile de fond.

F. Scott Fitzgerald




Un de mes auteurs fétiches, Fitzgerald, se lit le mieux, je pense, en plein été. L'essence même de ses romans et nouvelles est un univers vivace et plein de jeunesse, teinté de paresse et d'une certaine torpeur. Nul autre que lui n'a su dépeindre aussi subtilement une génération tout à la fois éprise de rythme, d'un tempo de vie accéléré, et figée dans une bulle qui limite le champs de ses possibles. Une génération aussi fugace qu'un été, trop vite passé. Quand il place Gatsby le Magnifique en pleine canicule, c'est physiquement que l'on éprouve la lourdeur de l'air et l'immobilisme ambiant. Mais ailleurs, c'est la légèreté associée à la saison qu'il fait sortir des pages. L'ouverture de sa nouvelle Le Pirate de Haute Mer (The Offshore Pirate) en est une sublime illustration: un yacht en pleine mer, le soleil scintillant sur les vagues, une jeune fille qui lit allongée tout en dégustant du bout de la langue un demi citron. Et nous voilà partis, emportés par la prose enivrante et évocatrice de Fitzgerald...


Dandelion Wine (Ray Bradbury)


Plus connu pour ses récits de science-fiction empreints de poésie et aux messages forts (dans le superbe Fahrenheit 451 par exemple), Ray Bradbury a aussi écrit des romans bien ancrés dans notre réalité, mais toujours aussi lyriques. Dans Dandelion Wine (traduit en Français par Le vin de l'été) il invite le lecteur au cœur de ses souvenirs d'enfance, lors d'un été qui englobe et symbolise à lui seul la magie de ses jeunes années. Dans le livre, le grand-père du protagoniste fabrique du vin de pissenlit, une boisson qui aux yeux de l'auteur, n'est rien d'autre que l'été mis en bouteille. S'il ne peut physiquement l'enfermer dans une bouteille, Bradbury a pu le capturer entre les pages de ce ravissant livre qui ne peut pas manquer de faire résonner chez le lecteur des images oniriques de courses dans les prés, de genoux verdis par l'herbe et de cheveux ébouriffés par le vent et l'air pollinisé. Une ode à l'enfance, à l'été, et à tout ce qui rend la vie merveilleuse.


The Silver Linings Playbook (Matthew Quick)


Sur la plage ou au bord de la piscine, rien ne se savoure mieux qu'un roman divertissant, drôle et captivant. The Silver Linings Playbook est exactement ce genre de roman. Mais tout en étant une comédie, il se tisse sur une toile quelque peu dramatique et est fait de la fibre parfois triste de la réalité. Aucune idéalisation ici, pas de romantisme en kit ni de recette du bonheur toute faite. Le narrateur, Pat, revient dans le monde après un séjour en hôpital psychiatrique. Le choc est dur, et il reprend ses marques petit à petit, avec l'aide de ses proches. Mais avant de pouvoir reprendre le cours de sa vie, Pat doit apprendre à regarder la vérité en face: qu'est-ce qui l'a conduit à l'hôpital? Comment peut-il ramasser les morceaux de sa vie qui a éclaté? C'est presque une enquête, le lecteur découvrant Pat en même temps que lui se redécouvre. Le long du trajet, émotions et éclats de rires alternent. Le livre idéal pour décompresser, s'amuser mais aussi apprendre comment vivre les difficultés.


Into the Wild (Jon Krakauer)


Pour certains, l'été est synonyme d'aventure, vacances égalent découvertes et prendre du temps pour soi signifie explorer sa vérité intérieure. Christopher McCandless aurait été de ceux-là. Dans Into the Wild, ce jeune homme à la soif d'absolu est ramené à la vie. C'est un récit initiatique plein d'inspiration qui nourrit chez le lecteur ce sentiment qui renaît bien souvent à l'approche des beaux jours: cette envie de renouveau, ce désir de trouver ce qui est essentiel et de suivre cette voie. C'est le pari que s'est lancé Christopher quand il est parti de chez lui un beau jour, soudainement et sans prévenir personne. Il a voyagé à travers l'Amérique jusqu'en Alaska, à pied et en auto-stop. Sur son trajet, il fait des rencontres inoubliables et progresse humainement. Son exemple suscite l'admiration, et son destin tragique est comme un rappel urgent: il faut vivre, vivre pleinement et maintenant.


The Painted Veil (W. Somerset Maugham)


Egalement un récit initiatique, mais dans un tout autre genre, The Painted Veil (Le voile des illusions) est l'histoire de Kity, partie pour un voyage qu'elle n'a pas choisi. Mariée à Walter, qu'elle n'arrive pas à aimer, elle se retrouve entraînée avec lui dans les tréfonds de la Chine, dans un village où une épidémie de choléra fait rage. Loin de son monde civilisé et sophistiqué, Kity est embarquée dans un parcours à la découverte d'elle-même.Chaleur, moustiques et révélations: l'été est ici la saison des remises en question, un entre-deux réservé à la contemplation. Le séjour de Kity est comme un pas de recul que l'on prend pour mieux observer sa vie. Car les vacances peuvent aussi avoir cette fonction: un répit du rythme habituel de la vie, pour se poser et mieux savoir où l'on va.


mercredi 29 juin 2016

Vers la simplicité


Quand on a une vie bien remplie, il peut devenir difficile de se recentrer sur ce qui est essentiel. Entre les préoccupations quotidiennes, les activités en tous genres, les responsabilités et les distractions constantes, on peut facilement perdre de vue la véritable direction que l'on voudrait donner à notre vie. Pour y voir plus clair, il n'y a qu'une solution: simplifier.

Simplifier, cela veut dire se désencombrer, se débarrasser du superflu pour revenir à ce qui compte vraiment. Dans notre culture, où l'abondance est devenue la norme, cela nécessite de faire le tri, de libérer de la place pour créer un vide dans lequel respirer. Car on finit par étouffer. Le monde devient de plus en plus complexe, de plus en plus chargé et on pourrait s'y perdre. Il y a toujours quelque chose d'intéressant à voir, à lire, à apprendre; toujours de nouvelles notions à adopter, de nouveaux concepts à comprendre... Mais tout cela nous est extérieur à nous-mêmes. A force de nous orienter vers ces stimulations externes, quand prenons-nous le temps de nous regarder nous-mêmes?

Pour retrouver notre être profond, il faudrait revenir à un mode de vie plus simple, plus dépouillé, mais ô combien plus riche. Il faudrait apprendre à ignorer le flux constant dans lequel nous baignons et observer ce qui est sous-jacent, c'est-à-dire ce qui est essentiel. Faire de la place pour voir plus clair, et se créer un espace où nous pouvons tout simplement être. S'entendre penser sans le brouhaha constant qui occupe notre esprit. Etre content de ce que l'on a. Ne pas chercher l'approbation des autres. Ne pas courir après une quantité infinie de désirs. Ne pas se laisser leurrer par les médias. Connaître la vraie valeur de chaque chose.

Tout cela est plus facile à dire qu'à faire. Comment s'y prendre, concrètement, pour atteindre cette simplicité tant désirée? Pour nous y aider, des spécialistes du mouvement minimaliste établissent des pistes et ne cessent de partager leurs conseils. Certains ont élaboré des challenges, tels des programmes à suivre pendant une certaine durée, qui mènent celui qui les suit à de véritables changements dans sa gestion du quotidien. En voici un, composé d'une piste par jour, que j'envisage de mettre en place durant un mois:

Challenge minimaliste

  1. Pas d'internet pendant une journée
  2. Méditation de 10 minutes
  3. Nettoyage digital
  4. Un jour sans se plaindre
  5. Identification de ses 3 à 6 priorités
  6. Créer une routine matinale
  7. Trier sa liste de lecture
  8. Apprendre à apprécier la solitude
  9. Diminuer le nombre de ses produits de beauté
  10. Pas de mails ou de réseaux sociaux avant midi
  11. Évaluation de ses engagements
  12. Déterminer ses objectifs de l'année
  13. Trier sa garde-robe
  14. Commencer à apprendre quelque chose de nouveau
  15. Examen de ses habitudes quotidiennes
  16. Pas d'achats pendant 24 heures
  17. Ne faire qu'une chose à la fois
  18. Se désabonner sur les réseaux sociaux
  19. Faire une promenade en pleine conscience
  20. Pas de télévision de la journée, lire à la place
  21. Ecrire pendant 20 minutes
  22. Créer une routine relaxante avant d'aller au lit
  23. Ne pas porter de maquillage
  24. S'entraîner à la gratitude
  25. Laisser une journée entière sans rien prévoir
  26. Identifier les sources de stress
  27. Nettoyer son tiroir à bazar
  28. Laisser tomber un objectif
  29. Éteindre les notifications
  30. Évaluation de ses cinq derniers achats
En suivant ces directives chaque jour durant un mois, j'espère changer durablement mes habitudes et obtenir une plus grande clarté d'esprit.

Pour terminer, j'aimerais partager cette citation de William Ellery Channing, qui résume selon moi ce que le minimalisme signifie, et ce que cela représente de vivre simplement:
"To live content with small means - to seek elegance rather than luxury, and refinement rather than fashion, to be worthy, not repectable, and wealthy, not rich - to study hard, think quietly, talk gently, act frankly, to listen to stars and birds, babes and sages, with open heart - to bear all cheerfully - do all bravely, await occasions - never hurry; in a word, to let the spiritual, unbidden and unconscious, grow up though the common. This is to be my symphony."
"Vivre en se satisfaisant de peu signifie - chercher l'élégance plutôt que le luxe, et le raffinement plutôt que la mode, être digne, pas respectable, et prospère, pas riche - étudier avec sérieux, penser calmement, parler avec douceur, agir franchement, écouter les étoiles et les oiseaux, les enfants et les sages, avec un cœur ouvert - supporter tout gaiement - agir avec courage, attendre les occasions - ne jamais se dépêcher; en un mot, laisser ce qui est spirituel, spontané et inconscient grandir à travers l'ordinaire. Ceci sera ma symphonie."

mercredi 15 juin 2016

Une œuvre, un moment: "Les premiers pas" de Vincent Van Gogh

Les premiers pas - Vincent Van Gogh (1890)
The Metropolitan Museum of Art (New York)
J'aime quand la peinture se fait le capteur instantané d'un moment qu'elle éternise à tout jamais. C'est le cas dans ce tableau du grand Vincent Van Gogh, qui est sans doute l'un de mes favoris de l'artiste. Bien que la touche Van Gogh soit immanquable, ce tableau se démarque de la plupart de ses œuvres, que l'on connaît plus pour les émois quelque peu torturés et les tourments qu'il y a couchés. Ici au contraire, ce sont les bonheurs simples de la vie qui sont immortalisés.

Les premiers pas est un titre aussi explicite que le sujet est sans ambiguïté. Un enfant s'exerce à marcher entre ses parents. Une situation on ne peut plus banale. Ce qui m'a immédiatement touchée dans ce tableau, c'est de découvrir l'universalité de ces gestes: la mère qui se penche pour soutenir son enfant, le père qui lui tend les bras pour l'encourager, la position de chacun... Nous avons tous connu cela, nous le reproduisons et nous continuerons de le voir. Et déjà du temps de Van Gogh (fin du XIXème siècle) on le faisait. Même un paysan laisse tomber ses outils un instant pour partager ce moment avec son enfant.

Et de tous temps, en tous lieux, ce moment se vit dans la joie et la fierté. On applaudit le petit qui titube tant bien que mal, on accompagne son exploit de grands sourires et d'encouragements. C'est à chaque fois aussi magique. Bien que les visages ne soient pas clairement visibles, on ne peut pas manquer ces émotions qui débordent de la toile et inondent son ensemble. Ce que le tableau exprime n'est que douceur de vivre et bonheur partagé. Il redonne toute son importance à un moment d'une grande simplicité, et toute sa douceur à l'amour parental dans ce qu'il a de plus ordinaire.

Les couleurs à elles seules traduisent ces sensations: les jaunes vifs, chaleureux et gais, mais tempérés par quelques touches de bleu qui adoucissent l'ensemble. Ce sont les couleurs du printemps, de la joie de vivre et du renouveau. Van Gogh et le jaune, c'est une longue histoire. Pensez à ses tournesols, à ses ciels étoilés où le jaune contraste plein d'éclat avec le bleu de la nuit. Pour lui, c'est la couleur de la joie par excellence. Ici, il ne se fait pas éclatant ni trop marqué, il imbibe l'ensemble de la toile avec délicatesse. C'est la lumière qui couvre le tout. Le jaune n'est pas en contraste mais en parfaite harmonie avec les autres couleurs qu'il côtoie.

Ces effets de couleurs miroitent parfaitement le moment qui est représenté. Les premiers pas, c'est une étape charnière, un renouveau dans la vie. Comme le printemps qui annonce l'été. L'enfant s'éveille au monde et la nature se réveille de son long sommeil d'hiver. Et la joie est dans l'air, partout autour d'eux. C'est cette pure simplicité, dans toute sa beauté, qu'a traduit ici Van Gogh. On est devant un spectacle de la vie de tous les jours, rendu glorieux par la peinture. Avec ce tableau, Van Gogh nous rappelle que la beauté est tout autour de nous, dans les plus petits détails et les moments les plus anodins. Il nous invite à mieux regarder et à apprécier la splendeur des choses simples.

mardi 31 mai 2016

Pourquoi Shakespeare?


Je suis une grande fan de William Shakespeare. Entendez par là: fervente admiratrice à l'enthousiasme explosif à la limite de la groupie. Je trépigne de joie quand je vais voir une de ses pièces de théâtre, je frémis de bonheur quand j'en lis une et parfois, j'ai des papillons dans l'estomac rien que quand je pense à lui et à l'héritage qu'il nous a laissé (oui, ça va vraiment jusque là). En fait, il est une source inépuisable d'exultation pour moi. Une passion que j'aimerais tant pouvoir partager avec les autres, mais le plus que je peux échanger sur le sujet se résume malheureusement souvent aux films de Kenneth Branagh, à Léonardo Dicaprio en Roméo ou à Shakespeare in Love (toutes de bonnes références en elles-mêmes, mais bien sûr, Shakespeare ne se résume pas à ça...). Je trouve cela tellement dommage que tant de gens passent à côté de cet auteur de génie, n'osent pas le lire parce qu'ils sont persuadés que c'est trop compliqué, sont réticents à aller le voir en production théâtrale parce qu'ils pensent s'y ennuyer, ou ne lui manifestent simplement aucun intérêt par pur préjugé et ignorance. Ce article a pour but de démystifier Shakespeare, de briser le solide carcan d'idées reçues qui le protège du grand public, et de vous démontrer pourquoi je l'adore. Il ne s'agit nullement de vous convaincre, mais juste de vous présenter une autre façon de voir le Barde et vous inviter peut-être à lui donner une chance.


Dédramatisez!

William Shakespeare: rien que son nom évoque les hautes sphères inatteignables de l'intellect, un univers réservé à une poignée d'érudits (et qui n'amuse qu'eux). Voilà l'image à laquelle il est souvent associé dans l'inconscient collectif. Mais c'est oublier qui il était réellement de son vivant. Permettez-moi de l'appeler Willy, histoire qu'on se détende un peu et qu'on ne se crispe pas à la simple évocation de son illustre patronyme. Willy, donc, était un dramaturge et acteur de la fin du 16ème siècle et début du 17ème. A cette époque, le théâtre était un loisir hautement prisé qui amassait aussi bien les masses populaires que l'aristocratie avec à leur tête le/la monarque. Toutes les couches de la société se précipitaient avec le même enthousiasme pour assister à la dernière pièce de ce bon vieux Willy. Ce n'est qu'avec le temps, au cours des siècles, qu'il a été adulé comme une divinité, élevé au rang des plus grands poètes et qu'une élite intellectuelle s'est emparé de son image pour se l'accaparer presque exclusivement. Ce monopole n'a pas réellement lieu d'être. Willy, c'est avant tout un auteur du peuple, qui écrivait pour tout le monde et n'aspirait qu'à toucher le plus de gens possible (donc, vous y compris!).

Shakespeare, c'est nous

S'il était proche de son public, Willy savait le toucher (je ne veux pas dire littéralement, quoique ce soit vrai aussi...). Les personnages de ses pièces, aussi éloignés de nous qu'ils puissent vous paraître, partagent les mêmes émotions que nous, les mêmes tourments, les mêmes dilemmes. Ils nous parlent parce qu'ils sont humains et qu'ils formulent (grâce à cette plume miraculeuse, à laquelle je reviendrai plus tard) ce que nous ressentons de manière diffuse et ne parvenons pas à mettre en mots. Qu'il écrive sur des rois, des paysans, des soldats ou des adolescents amoureux, Willy était capable d'infuser ses pièces de thèmes tellement universellement humains, que quatre siècles plus tard, on s'y retrouve encore. Le chagrin, par exemple, paraissait allonger le temps alors comme aujourd'hui, ainsi que le dit Bolingbroke dans Richard II: "Grief makes one hour ten". Qui ne connaît pas ce sentiment? Ce genre d'identification est une des richesses du canon shakespearien, parce que ses textes débordent de vie et que ses personnages sont des miroirs qui nous sont tendus.

Il est accessible

La langue de Shakespeare est bien souvent réputée pour être opaque et difficile à percer. Que l'aspect poétique de ses textes soit perçu comme une barrière est une réalité qui me désole. Bien sûr que personne ne s'exprime en vers dans la vraie vie; bien sûr qu'il y a un degré d'invraisemblance à surmonter avant de pleinement profiter d'une de ses pièces. Mais cela ne le rend pas pour autant inaccessible. Prenez n'importe quel film actuel: vous avez une impression générale de familiarité avec le langage utilisé, vous pensez retrouver la même manière de s'exprimer dans laquelle vous baignez au jour le jour. Pourtant, si on devait réaliser un film dans lequel les personnages s'expriment comme nous le faisons réellement, le résultat serait confus, non-linéaire et particulièrement désagréable à suivre. La vérité est que toute forme de fiction (que ce soit un film, une pièce de théâtre ou un roman) est régie par tout un système de conventions auxquelles on se plie parce qu'on y est habitués. Les conventions qui étaient de vigueur au temps où Shakespeare écrivait ont peut-être changé depuis, mais ses dialogues ne sont pas moins naturels que les échanges qui ont lieu dans votre série préférée. Vous y êtes juste moins habitués.

Des mots, des mots, des mots

Quel est-il, justement, ce style si spécifique? La plupart des dialogues de ses pièces sont en vers, un mode auquel nous ne sommes plus très habitués aujourd'hui. Et il était un fameux poète, ce Willy. La pure beauté de son langage laisse parfois (paradoxalement pour un dramaturge) sans voix. Ce qui m'émeut le plus dans ses textes, c'est l'infinie justesse de son propos, qu'il habille d'élégance, mais presque sans effort. Un de ses contemporains aurait un jour affirmé que Shakespeare écrivait sans la moindre rature, d'un seul jet. Que cette légende soit vraie ou non, l'effet qui est produit par son langage est une impression de poésie naturelle qui découle directement du cœur de ses personnages et déverse son flot de vérités sur l'existence de la plus sublime manière qui soit. Si personne ne parle en vers dans la réalité, peut-être est-ce la meilleure façon d'exprimer la réalité du cœur humain. Les histoires racontées par Shakespeare ne sont pas à elles seules dignes de la postérité dont il bénéficie. C'est le langage dans lequel il leur donne vie qui les sublime et qui lui vaut le nom de génie.

Il y a des outils

Le problème de non-familiarité avec sa langue en rebute beaucoup, ce qui est bien dommage. Je ne prétends pas qu'un lecteur actuel puisse lire une pièce et en saisir l'entièreté du sens spontanément et sans effort. Mots désuets, formulations obscures, références culturelles, sont autant de difficultés qui peuvent mettre un frein à la compréhension. Mais il existe une quantité infinie (littéralement infinie) de sources d'aide. Tout d'abord, je ne peux que recommander de lire les notes de bas de pages. Certaines éditions font un travail brillant pour éclairer la lecture. Il y a ensuite toutes sortes de livres sur Shakespeare écrits pour le grand public (des auteurs comme Bill Bryson, Ben Crystal ou Jonathan Bate) et qui étofferont votre connaissance du monde du Barde et sa manière d'écrire. Enfin, et là il n'y a plus de limites, il y a internet. Je suis loin (très loin) de connaître tous les sites de références existants, mais tapez simplement le titre d'une pièce dans votre moteur de recherche et vous trouverez tout ce dont vous pourriez avoir besoin et plus encore. Mais j'entends déjà des protestations: pourquoi irais-je lire quelque chose de tellement compliqué que j'ai besoin "d'aide" pour le comprendre? Ce qui m'amène au point suivant.

Il est infini

Il n'existe pas une bonne manière de comprendre ni le texte, ni les pièces de Shakespeare. Si Hamlet est plus difficilement abordable qu'un épisode de Friends, sa portée est aussi infiniment plus large. Le génie de Shakespeare est qu'il est parvenu à laisser suffisamment d'espace entre son texte et l'interprétation qu'on peut en faire. C'est précisément dans cet espace que ses pièces fleurissent dans tout leur potentiel infini. Comparer différentes productions d'une même pièce est justement pour cette raison très intéressant et enrichissant. Une seule et unique ligne peut être interprétée de différentes manières, et chaque acteur, chaque réalisateur, apporte une nouvelle approche au texte. Ne vous formalisez donc pas si une explication ne vous plait pas ou reste obscure pour vous. Vous êtes l'acteur principal de votre expérience de Shakespeare. N'oubliez pas qu'il écrivait pour le grand public, pour faire vibrer les cœurs, et non pour échauffer les méninges de quelques savants hautains. Prenez ce que vous voulez prendre, ne soyez influencé que par ce que vous approuvez, et rejetez les commentaires qui vous donnent la nausée.

C'est que du bonheur!

Lire ou voir une pièce de Shakespeare n'est pas une activité passive: adaptation à un langage inhabituel, concentration accrue, attention aux détails, esprit éveillé et ouvert à la réflexion... ce sont autant d'efforts que le lecteur/spectateur doit fournir. Mais pour quelle récompense! Les joyaux que vous découvrez alors valent mille fois le moment de divertissement facile et fugace que nous livrent la plupart des films ou séries actuels. Et j'ai une bonne nouvelle pour vous: plus on s'expose à Shakespeare, plus on se familiarise avec son style et plus on l'apprécie facilement. Oubliez le dur labeur qu'un professeur inflige à ses élèves pour décortiquer le monologue "être ou ne pas être". Laissez-vous porter par une langue qui fait ses preuves depuis plus de quatre cents ans, et laissez-vous surprendre!

mardi 17 mai 2016

L'écriture thérapie: quand les mots font du bien


Dans un article précédent je vous présentais le concept du commonplace book. Aujourd'hui c'est à un tout autre usage que je vous suggère de consacrer un carnet: celui de votre développement intérieur. L'écriture est un compagnon idéal dans la recherche de son épanouissement et un outil hors-pair pour parcourir ce cheminement personnel. Voici comment.

Les adeptes de la psychanalyse vous diront que la parole libère. C'est aussi vrai de ce qui est écrit. Imaginez-vous en thérapie, face à un psychiatre ou psychologue. Vous lui parlez librement, vous déchargez votre bagage émotionnel, et en sortant de votre consultation, vous vous sentez déjà plus léger. Vous vous êtes débarrassé d'un poids. L'écriture peut avoir cet effet là. Prenez votre stylo et un joli carnet, et déversez les mots comme ils vous viendraient en parlant. Le psy est remplacé par la page, qui reçoit le flot de vos mots sans le moindre jugement.

Le lâcher-prise est ici très important. N'écrivez pas avec l'idée de vous relire, de formuler de belles phrases ou de passer sous silence ce qui est moins "joli" ou "plaisant". La censure doit être brisée pour que votre âme se lâche et puisse se libérer de ce qui l'encombre. Le souci de la belle forme ne doit pas intervenir, au risque de vous freiner. Cela dit, vous n'avez rien à perdre à chercher la précision, l'exactitude et les termes justes. Plus vous essayerez de vous exprimer avec justesse, plus vous vous rapprocherez de votre vérité intérieure.

Ecrivez sur tout ce qui vous touche. Les petits tracas, les gros chagrins, les joies infimes du quotidien et les projets qui vous animent. Ecrivez sur un moment précis de votre journée, une difficulté rencontrée ou une angoisse particulière. Décrivez le concret, le vécu, mais aussi les pensées et réflexions qui vous travaillent. Développer un raisonnement et voyez où il vous mène. Quand on met ainsi les choses à plat, elles deviennent plus claires, plus ordonnées et plus limpides.

Ce qui vous étonnera en premier lieu, ce sera la lucidité que cet exercice vous apportera. En mettant des mots entre vous et votre ressenti, vous gagnez une perspective qui vous permet de mieux comprendre ce que vous vivez. C'est comme un travail d'interprétation, il faut traduire le vécu en termes et en phrases que le cerveau décortiquera plus facilement. Vous comprendrez mieux vos propres sentiments, vos mécanismes, votre manière de penser et de voir le monde. Et à partir de là, il vous sera toujours plus clair où vous désirez aller.

Ensuite vient la sérénité. Comme je disais plus haut, en écrivant sur un problème c'est comme si on s'en libérait. Prenez le problème du stress, par exemple, qui bien souvent nous empêche d'être au meilleur de nos performances. Une étude à l'Université de Chicago a prouvé les effets thérapeutiques de l'écriture pour vaincre l'angoisse. On a divisé un groupe d'étudiants en deux. Juste avant un examen, il a été demandé aux étudiants de l'un des groupes d'écrire sur leur peur d'échouer. Ceux-ci ont finalement obtenu des résultats supérieurs à ceux de l'autre groupe! Il est donc possible de se débarrasser des effets négatifs du stress (au moins en partie) rien qu'en le couchant sur papier.

Ecrire pour aller mieux et pour s'améliorer est une véritable technique qui fonctionne. C'est facile, ça fait du bien, et sur le long terme, on peut en ressentir de réels bienfaits. Un peu chaque jour, où seulement quand vous en avez besoin, prenez la plume et confiez-vous au papier. Vous vous y découvrirez vous-même, et vous vous sentirez plus libre et léger de jour en jour.

vendredi 29 avril 2016

Le bonheur est dans l'attente


Savoir prendre le temps et ne pas précipiter les choses est une des plus importantes leçons que nous enseigne le passé. Cela s'applique dans bien des domaines, entre autres dans celui du plaisir. La recherche de la satisfaction est une tendance naturelle qui guide la plupart de nos actions. Mais que gagnons-nous (ou perdons-nous) à satisfaire toutes nos envies instantanément? Je vous propose une petite réflexion sur les avantages à tirer en prenant plus notre temps lorsqu'il s'agit de se faire plaisir.

Avec à notre disposition des outils comme internet, nous avons au bout de nos doigts le pouvoir de combler presque toutes nos envies. Un film peut être vu directement, un achat se fait en un clic et nous est livré en quelques jours à peine, une information est trouvée en deux temps trois mouvements. En moins de temps qu'il ne faut pour y songer, on obtient satisfaction. Et il y a un effet d'accoutumance à cette immédiateté, on s'y habitue.

Devoir attendre entre le moment où une envie nous vient et le moment de la satisfaire nous arrive de moins en moins souvent, si bien que l'on supporte assez mal d'être obligé d'attendre. En marquant un long moment de répit entre une envie et son actualisation, l'instant de satisfaction en est plus réjouissant, il est comme décuplé. C'est ce que j'appellerais "l'effet de l'attente". Un contre-temps que l'on a de moins en moins l'habitude de subir.

C'est pourtant bien dans l'attente que se construit l'ampleur du plaisir qu'on tirera plus tard. Je dirais que le délais d'attente est à la mesure de la satisfaction future. Plus on attend, plus on sera content au final. L'aboutissement devient une sorte de récompense, il y a une qualité de mérite qui vient s'ajouter à sa valeur. Et puis il y a la magie de l'anticipation qui opère: on projette, on espère, et à notre insu, on est déjà entrain de former le bonheur qu'on éprouvera.

Il a déjà été prouvé que nous tirons une partie de notre satisfaction dans l'anticipation d'un moment agréable. Quand on réserve des vacances, par exemple, l'idée seulement de partir et la réjouissance à l'avance, font déjà partie du bonheur qu'on en tirera. Il se passent donc en réalité beaucoup de choses rien que dans l'attente. C'est tout un chemin qui mène à un aboutissement, et toute une part de plaisir que l'on perd en zappant cette étape.

Si autrefois l'attente était subie et que bien souvent, on ne pouvait pas faire autrement, aujourd'hui nous avons beaucoup à gagner en nous y forçant de temps à autre. Rappelons-nous du temps où il fallait attendre l'été pour avoir des fraises, où il fallait attendre qu'un cinéma programme un film pour pouvoir le voir, où il fallait attendre plusieurs jours pour qu'une lettre arrive à destination. L'instantané a pris le contrôle sur nos vies, et il s'agit d'un réel acte de résistance que de s'y opposer volontairement. Réapprendre à attendre, c'est redonner du goût au bonheur, et ne pas le prendre pour acquis.

Quelques pistes pour réapprendre à attendre et en tirer le meilleur:

  • Programmez les choses longtemps à l'avance: une sortie entre amis, une séance cinéma, ou même des petites choses comme le repas du soir ou un moment pour se livrer à son passe-temps favori, c'est en les prévoyant avec une longueur d'avance qu'on les savoure le mieux.
  • Faites des listes: un livre vous fait envie? Un ami vous recommande un film? Vous tombez par hasard sur une recette alléchante? Prenez-en note sous forme de listes que vous consulterez plus tard. 
  • Cherchez d'autres points d'accès qu'internet: plutôt que de commander en ligne le vêtement dont vous rêvez, déplacez-vous en personne dans le magasin. Laissez de temps en temps tomber la facilité d'internet pour vous donnez la peine de faire l'effort et de passer le temps nécessaire avant de vous faire plaisir.
  • Faites-vous des promesses à vous-même: au lieu de directement aboutir à une envie, promettez-vous d'y accéder dans un certain délais. Par exemple: "ce weekend, je regarderai ce film", ou bien "la semaine prochaine, je commanderai un plat chez mon traiteur préféré".
  • Ne fuyez pas les situations où vous n'avez pas le contrôle: un petit cinéma de quartier où il n'y a qu'un film par jour, une piscine dont les horaires sont un peu contraignants... il est parfois bon de ne pas avoir le choix, de devoir se plier à des contraintes extérieures et de ne pas avoir ce qu'on a envie, quand on en a envie.
  • Forcez-vous tout simplement à attendre: même si vous avez la possibilité de tout de suite vous faire plaisir, reportez volontairement. Si vous avez le DVD d'une série, par exemple, obligez-vous à n'en regarder qu'un épisode à la fois. Cela requiert d'une bonne maîtrise de soi, mais débouche sur une plus grande satisfaction au bout du compte.
Je suis convaincue des bénéfices de l'attente, et je suis adepte à m'y forcer parfois quand les circonstances ne m'y obligent pas. La trop grande facilité actuelle à arriver rapidement à nos fins a endommagé le plaisir qu'on en tire. Je pense qu'il n'y a pas de plaisir là où il n'y a pas eu de frustration. En suivant ces quelques pistes et en réfléchissant vous-même à la place que prend l'attente dans votre expérience du bonheur, j'espère que vous arriverez à mieux profiter de chacune de vos envies.

dimanche 24 avril 2016

Comment médiévaliser votre quotidien


Le Moyen Age n'est certes pas la période la plus glamour de l'histoire. Souvent associé à l'obscurantisme et à la violence, il n'a pas tellement la cotte à nos yeux civilisés du vingt-et-unième siècle. Pourtant tout n'est pas à jeter dans cette ère. Si on pioche judicieusement quelques valeurs morales, quelques habitudes de vie, on peut découvrir que les moyenâgeux avaient finalement plus à nous apprendre qu'on ne pourrait le croire. Pour un quotidien plus intense, plus chevaleresque, mais aussi plus magique, je vous invite à suivre ces quelques conseils.

1. Courage et loyauté

Le code d'honneur des chevaliers, mais aussi de la noblesse en général, était stricte et indérogeable. Faillir à ce code, c'était déchoir et perdre son statut. A son cœur, on trouve la loyauté à son roi ou à son seigneur. Cette fidélité s'étendait de la personne du roi à ce qu'il représentait: une nation, des principes, une lignée. A cette époque, la parole d'un homme valait la vie de celui qui la prononçait, autrement dit, une parole d'honneur digne de ce nom. Et on était prêt à mourir pour une cause en laquelle on croyait. En somme, ce sont autant de valeurs dont nous pouvons nous inspirer: fidélité, sincérité, sens de l'honneur, intégrité, courage. Faire preuve de "noblesse" est à la portée de tous.

2. Allez à l'essentiel

Que l'on ait été noble seigneur ou petit paysan, la vie était rude au Moyen Age. Maladies, guerres, brigands,... les risques pesaient au jour le jour sur les têtes. Une vie, qui était quotidiennement menacée par d'innombrables dangers, se menait sans perdre de temps. Chaque jour pouvait potentiellement être le dernier, une imminence qui ne faisait qu'en rehausser la valeur. On n'y allait pas par quatre chemins, on allait droit au but et sans détours. Apprendre à redonner de l'intensité à chaque instant permet de retrouver la juste valeur du miracle d'être vivant et de ne plus perdre de temps avec ce qui ne compte pas vraiment.

3. Cultivez votre spiritualité

Une des caractéristiques majeures du Moyen Age, c'est sa profonde religiosité. Tout le monde était croyant et le respect des rites catholiques faisait partie intégrante de la vie quotidienne. Si aujourd'hui la foi est devenue une affaire personnelle, on peut tout de même tirer un exemple de ces habitudes ancestrales. La spiritualité donne un sens et une direction à sa vie, qu'elle soit de nature religieuse ou non. Consacrer quelques moments chaque jour à la contemplation ou à une forme de méditation qui correspond à nos croyances personnelles, a été prouvé pour améliorer le bien-être au quotidien. Le plus important étant de trouver la spiritualité qui vous correspond et de la pratiquer selon vos propres principes.

4. Accordez-vous à la nature

La vie se déroulait autrefois en plus grande symbiose avec la nature. Le rythme des saisons décidait de ce que l'on avait dans son assiette, les intempéries nous touchaient directement et le rapport aux animaux était essentiel à la survie (pour les manger comme pour s'en protéger). On était directement lié à son environnement, alors que de nos jours nous avons tendance à nous scinder de la nature qui nous entoure. Pour retrouver ce lien et le bien-être primal qu'il génère, quelques habitudes simples peuvent être mises en place: manger des fruits et légumes de saison, préférer la marche aux transports motorisés, passer plus de temps dehors, pratiquer des activités liées aux saisons (luge en hiver, golf en été, par exemple)...

5. Retrouvez le plaisir de la table

Au temps des chevaliers et des nobles dames, les loisirs étaient peut-être limités, mais on n'en tirait pas moins une grande satisfaction. Une des meilleures manières de passer un bon moment en bonne compagnie, c'était autour d'une table: les grands banquets où la nourriture abondait, où le vin coulait généreusement, les conversations allaient bon train et les chants et spectacles rythmaient l'ambiance. Le très simple plaisir de se remplir l'estomac tout en se divertissant est si universel qu'il ne passera jamais de mode. Nul besoin de grands moyens ou de dépenses folles, pour revenir à l'essentiel, rassemblez-vous en famille ou entre amis autour d'une table, échangez nourriture et bonnes paroles, et savourer le bonheur d'être ensemble.

6. Laissez les histoires vous transporter

Pour passer les longues heures entre le lever et le coucher du soleil, quand les divertissements se limitaient à ce que l'on pouvait faire de ses deux mains, avec un instrument ou avec sa bouche, raconter des histoires était pour les moyenâgeux ce que télévision, livres et cinéma sont pour nous aujourd'hui. La différence était dans la réception de ces histoires: on y croyait avec ferveur et on s'y accrochait comme à des modèles. Les récits héroïques (souvent chantés en vers), les aventures parfois magiques et toujours exemplaires, étaient non seulement distrayants, mais aussi admirables et inspirants. Actuellement, nous passons vite d'une histoire à une autre, sans nous y investir aussi sérieusement. Et pourtant, quelle richesse, quand on se laisse transporter corps et âme dans une fiction, qu'on s'y implique entièrement et qu'on en tire tous les enseignements qu'on peut y trouver.

mercredi 30 mars 2016

Ode à l'activité unique, ou l'art de ne faire qu'une chose (et une seule) à la fois



Il y a de plus en plus de situations durant lesquelles on a du mal à ne faire qu'une seule chose à la fois. En particulier quand on est seul, on a souvent cette tendance à combiner les activités pour les faire en même temps: on mange en regardant la télévision, on travaille en écoutant de la musique, on cuisine en lisant les dernières nouvelles sur son portable... Pourquoi cette dispersion? J'ai moi-même constaté que l'investissement dans une activité unique procure de meilleurs résultats, et surtout un plus grand plaisir.

Quand on fait deux choses en même temps, notre attention est divisée dans des directions différentes. Du coup, on se livre moins à chaque activité. Dès lors, ou bien l'une des activités nous accapare plus au détriment de l'autre, ou bien on bâcle les deux. Si on mange devant un film, par exemple, c'est souvent l'écran qui captive le plus notre attention, et on ne pense plus au fait qu'on mange (on va trop vite, on ne goûte pas vraiment, on mange trop, etc.).

Je pense que ce qui motive à agir ainsi, c'est principalement le gain de temps. "Si je lis mes emails pendant mon petit-déjeuner, c'est du temps que je ne perdrai pas ensuite". C'est un bon argument, et je réalise qu'il n'est pas toujours possible de scinder ses activités pour les accomplir les unes après les autres. Le problème, c'est qu'à force de se mettre en mode multitâche, ça en devient une habitude, et au final, ne faire qu'une seule chose peut sembler vide, ennuyeux. On n'arrive plus à canaliser notre attention et on a toujours besoin de stimulations.

Pratiquer une activité unique permet de revenir à un rapport aux choses plus essentiel. C'est un retour à la source. Pourquoi écoutons-nous de la musique? Pour le plaisir des oreilles, pour la beauté des mélodies et les émotions qui y sont attachées. Et non pas pour combler le silence ou pour avoir une bande-son à son travail. Juste de temps en temps, si on s'efforce de ne faire qu'une seule chose et à la faire pleinement avec toute sa conscience, je suis certaine que c'est un exercice dont on peut tous bénéficier.

Quand avez-vous bu pour la dernière fois votre thé ou café, en pleine solitude et sans rien faire d'autre? C'est une expérience qui paraît anodine, et peut-être ridicule pour certains, et pourtant je vous invite à la tenter. Juste déguster la boisson, en savourer la chaleur et le goût, et y concentrer toute son attention. Ou bien encore s'asseoir pour écouter de la musique, pas en bruit de fond d'une autre activité, mais uniquement pour l'écouter.

Quand on marche, essayer de ne pas s'encombrer en planifiant, en préparant ce qui doit venir, mais juste de marcher, sans écouteurs ni portable. Quand on voyage en train, se contenter d'être présent et de contempler le paysage qui passe par la fenêtre. Quand on mange, ne pas sortir de journal, d'appareils connectés, ni de livre, mais seulement manger. Chaque activité est digne en soi et mérite qu'on lui octroie un moment exclusif.

C'est en prenant le temps de cette manière que les petits plaisirs de la vie révèlent tout leur potentiel. On en perçoit mieux les saveurs, chaque détail nous apparaît, et la joie que ces moments simples peuvent donner est exacerbée. Les émotions que la musique suscite en nous, par exemple, ne sont plus étouffées par une autre occupation. On est comme "ouvert", accessible et attentif. On est tout entier disponible, et pas juste à moitié.

En se livrant de temps à autre à l'activité unique, on éprouve non seulement la satisfaction d'être entièrement présent et de bien faire les choses, mais on en ressent aussi un sentiment de liberté insoupçonné. On devient maître de son temps, et non sa victime. Parce qu'on a fait consciemment le choix de ne s'atteler qu'à une seule tâche, au lieu de se soumettre à la pression de rentabiliser chaque minute, on se sent plus libre et allégé.

lundi 28 mars 2016

Une œuvre, un moment: La Lecture de Berthe Morisot

La Lecture ou L'Ombrelle Verte, 1873 (Bethe Morisot)
The Cleveland Museum of Art

Dans ce charmant tableau, empreint de toute la délicatesse dont Berthe Morisot est capable, l'artiste fait preuve de la grande maîtrise et de la technique qui l'élèvent au rang des plus grands peintres de la tradition impressionniste: luminosité, vivacité d'exécution, rendu fracturé. Mais au-delà de l'aspect purement formel de l'œuvre, à travers elle Berthe Morisot nous entraîne dans son univers, tout paisible et féminin, un monde bien à elle qui se visite au cours de ses toiles.

Etant une des seules femmes impressionnistes (et sans doute peintres tout court) de son époque, Berthe Morisot s'est vue obligée de faire ses marques dans un monde exclusivement masculin. Si sa famille et quelques amis peintres (parmi lesquels Manet) la soutenaient dans son projet artistique, à la fin du XIXème siècle, une femme était difficilement prise au sérieux dans une profession d'homme. Mais Berthe est parvenue à séduire le public, et à convaincre les critiques de son véritable talent. Elle s'est fait un nom qui trône au milieu de ceux de Monet, Degas, Sisley ou Renoir.

Le parcours de cette femme hors pair, toute dévouée à son art et dévorée de passion, est fascinant en soi. On peut lire de rigoureuses biographies sur sa vie (je conseille Berthe Morisot, Le secret de la femme en noir de Dominique Bona), mais comme tout artiste, le plus important est dans son œuvre. C'est dans ses tableaux qu'elle a capturé l'essence de ses aspirations, et qu'elle a traduit en couleurs, sous son habile pinceau, la splendeur de sa vision et de ses rêves. Voyons comment elle y parvient avec un de ses tableaux, La Lecture ou L'Ombrelle Verte.

La Lecture ressemble à première vue à un portrait: une jeune femme est assise sur une couverture dans l'herbe, plongée dans un livre, une ombrelle abandonnée encore ouverte à son côté. Un grande place est laissée à la nature environnante. Le vert domine, les collines à l'arrière-plan occupent presque tout l'espace du tableau, laissant à peine un petit coin de ciel visible. Avec ses tonalités douces et harmonieuses, il s'en dégage une plénitude contagieuse.

Plus on le contemple, plus on se sent pénétrer dans ce tableau, comme s'il invitait le spectateur à y entrer avec un magnétisme presque irrésistible. L'aura paisible qui entoure cette jeune femme devient hypnotique. Soudain, ce n'est plus un simple portrait qui est représenté là, mais bien un instant chargé de sensations. On ne voit plus une femme lisant, mais le moment de lecture lui-même. La femme est distante, elle est ailleurs, transportée là où l'entraîne son livre. Il ne reste d'elle que le ressenti qu'elle évoque.

On remarque par ailleurs que le tableau baigne dans une sorte de flou, comme si on y avait passé un filtre atténuant les contours et les contrastes. Le visage de la jeune femme n'est pas très net, aucun détail n'est rendu avec précision. Ce sont là les caractéristiques typiques de l'impressionnisme, qui ont pour résultat que le sujet du tableau devient secondaire. Ce qui domine, c'est l'effet produit par les couleurs, l'atmosphère générale, cette impression d'être face à un moment piqué sur le vif. C'est grâce à ce manque de netteté que Berthe Morisot atteint le spectateur au plus profond, parce qu'elle touche à ce qui est essentiel et le rend vivant: ses sensations et ses émotions.

Dans La Lecture, Berthe Morisot a reproduit et communiqué l'atmosphère paisible d'une après-midi d'été, le contentement de savourer un moment de calme dans la nature, la sensation de liberté quand on échappe à la réalité en se plongeant dans un livre. Et mieux que de rendre tout cela avec son pinceau, elle immerge le spectateur dans cet univers qui est le sien, elle lui fait partager cette expérience. Au-delà du plaisir à la contemplation du beau, c'est le pouvoir du visuel à faire écho aux émois intérieurs du spectateur qui est mis en œuvre.

L'objectif des impressionnistes, qui est de capturer un instant fugace, une impression faite de lumière et de mouvements, est ici remporté brillamment. Ce n'est ni une scène, ni un portrait figé, mais bien une impression qui est immortalisée sur la toile. On respire l'air frai, on baigne dans la clarté, pour un peu on verrait presque les brins d'herbe se balancer au gré du vent. Mais plus que tout, on est imbibé du calme, de la douceur, et du sentiment d'évasion qui émanent du tableau.

dimanche 20 mars 2016

"Cakes and Ale": la littérature souvenir

Dans Cakes and Ale (en Français, La ronde de l'amour), W. Somerset Maugham explore la manière dont se forment les souvenirs, et le regard que l'on porte sur le passé. C'est tout à la fois un traité sur l'écriture, un essais sur les mécanismes de notre mémoire et un commentaire sur une époque révolue.

Le narrateur, William Ashenden, est un auteur qui est un jour sollicité par un condisciple, Alroy Kear. Celui-ci projette d'écrire la biographie d'un autre écrivain: le célèbre, glorifié du public et de la critique, et récemment décédé, Edward Driffield. Alroy demande à Ashenden de lui fournir des informations sur l'homme qu'il a connu dans sa jeunesse. Ashenden est alors amené à se replonger dans son passé. Il a été proche de Driffield et de sa première épouse à plusieurs moments de sa vie. La narration se déroule sur deux niveaux: le présent, et les souvenirs d'Ashenden. Dans sa jeunesse, il rencontre pour la première fois les Driffield avant que l'auteur n'aie atteint son illustre statut: il n'est qu'un homme ordinaire, trop ordinaire pour la bonne société victorienne à laquelle le narrateur appartient. Plus tard, sa notoriété grandissante, cet obscur passé est au mieux laissé sous silence. S'il est avant tout demandé à Ashenden de se remémorer tous les détails qu'il peut sur Edward Driffield, c'est surtout sa première épouse, Rosie, qui l'a marqué. En quelques moments isolés, tels des flashs ou des touches de couleurs qui se sont inscrites dans la mémoire, Ashenden dresse le portrait d'une femme rare et inoubliable. C'est cette figure qui est au centre des souvenirs du narrateur, et du roman.

Cakes and Ale est l'un des nombreux romans de W. Somerset Maugham où le narrateur est écrivain. De cette manière, il nous livre ses commentaires et impressions sur l'exercice d'écriture, mais aussi sur l'univers littéraire de la fin du XIXème, début du XXème siècle (quand talent et renommée n'allaient pas forcément de paire). On peut dire que l'écriture est ici mise à l'honneur et sous la loupe: Ashenden, Alroy Kear et Edward Driffield sont tous trois écrivains. L'un écrit ses réminiscences, le deuxième tente de concilier ses valeurs avec l'édification d'une biographie pleine de points délicats, et le dernier imbibe ses livres d'éléments autobiographiques. Est-ce que Maugham est entrain de dire qu'un auteur met toujours un peu de lui dans ses écrits? Selon son protagoniste Ashenden, l'auteur est le seul homme tout à fait libre, parce que toutes ses peines, ses difficultés, toutes ses douleurs et ses états d'âme, il peut s'en libérer en les écrivant. Et c'est sans nul doute ce que fait Ashenden. Son récit est l'exemplification du pouvoir curateur de l'écriture.

Si un auteur s'inspire de son propre vécu dans ses écrits, alors l'écriture peut être apparentée à la fonction de mémoire. C'est le grand thème de ce roman. Le narrateur ne se remémore pas seulement une période de sa vie, il montre comment les souvenirs deviennent la fiction qu'on se raconte à soi-même. Certains éléments nous marquent plus que d'autres, et prennent une place saillante dans nos souvenirs; les lieux et les personnes changent d'apparence et se déforment; une impression prend le pas sur une vision. Ces petites transformations de la réalité sont inévitablement incorporées dans le tissus des souvenirs du narrateur. Quand Ashenden revoit Driffield à l'âge adulte après l'avoir rencontré dans son adolescence, il est étonné de se rendre compte de sa petite taille. Il est également surpris de s'apercevoir de la beauté de sa femme, Rosie, qui lui avait totalement échappé. Quand il se remémore Rosie trente ans après l'avoir connue, elle lui apparaît telle qu'il l'a vue sur un portrait réalisé par un ami peintre. Dans son esprit, elle est plus l'œuvre qu'en a fait un autre que ce qu'elle était réellement, et les photographies ne lui rendent pas justice à ses yeux. Le monde de ses souvenirs et celui de la réalité se sont éloignés l'un de l'autre.

Au cœur du roman, il y a aussi la description d'une époque: la fin de l'ère victorienne, mais telle qu'elle est vue par Ashenden, entre trente et quarante ans après. Son regard rétrospectif est chargé de critique, de cynisme, mais aussi de tendresse et d'une certaine nostalgie. Sur le plan visuel, il dépeint ce monde disparu avec la poésie d'un artiste peintre qui cherche plus à capturer une atmosphère qu'à reproduire un rendu réaliste d'une scène. Sur le plan des mœurs et de la morale, le ton est bien plus amer. Grâce à son recul, Ashenden peut mettre en lumière l'hypocrisie du monde auquel il appartenait, l'excessive pudeur qui dominait les relations et la sensibilité générale trop vite choquée. Le titre fait référence à une ligne de Shakespeare, dans la pièce Twelfth Night (La nuit des rois):
Dost thou think, because thou art virtuous, there shall be no more cakes and ale? (Acte II, scène 3)
Cette réplique, lancée à un puritain qui s'offusque de voir les autres prendre du bon temps, est un plaidoyer pour la vie douce et agréable. "Cakes and ale" est devenue une expression en Anglais pour signifier la douceur de vivre et le fait de se faire plaisir. Cette phrase est une jolie réponse aux prudes victoriens qui condamnent les plaisirs et mettent la vertu sur un piédestal.

Beaucoup de critiques ont vu dans le personnage d'Edward Driffield un portrait de Thomas Hardy, avec qui il partage de nombreux points communs (des origines humbles, un premier mariage à l'issue désastreuse, une apogée du succès à la fin de la vie,...). Malgré des similitudes frappantes, Maugham a toujours nié s'être inspiré de Hardy, mais le consensus général est qu'il s'agit bel et bien d'un modèle sur l'écrivain. Cela dit, cette question ne me semble pas essentielle à l'appréciation du roman. Les personnages servent des fonctions bien précises, peu importe au final qui ils sont. Driffield illustre l'auteur qui fait l'unanimité, le "grand écrivain" dont chaque génération a besoin. La prouesse de Maugham réside en ce qu'il parvient à rendre universelle une histoire si spécifique à une époque donnée. C'est l'histoire de la littérature qu'il nous raconte, du système dont les engrenages sont le public et les journalistes (tous deux influençables). Et à travers Rosie, qui est l'élément clé entre le monde des souvenirs et celui de l'écriture, c'est le processus de mémoire qui est exploré.

Cakes and Ale est un véritable tour de force littéraire. Tout comme la structure de base en plusieurs niveaux sur laquelle il s'articule, l'expérience du lecteur se déroule sur plusieurs plans. Il y a la dimension narrative, qui transporte et fait voyager dans le temps, qui met en scène des personnages réalistes et complexes qui fascinent. Et puis il y a la dimension réflective, qui invite à voir le monde sous le regard d'un écrivain et à réfléchir sur la place de la littérature et sur la nature de nos souvenirs.

lundi 7 mars 2016

Comment Victorianiser votre quotidien


Dans le même style qu"un billet précédent, dans lequel il était suggéré comment intégrer un peu de l'esprit de la Renaissance dans votre vie, je vous propose aujourd'hui quelques conseils pour vous inspirer de l'époque Victorienne au jour le jour. Au programme, raffinement, élégance et sophistication!

Dans tous les domaines, faites preuve de goût

Avoir du goût était un réel savoir-faire qui était pris très au sérieux. Au-delà des tenues vestimentaires ou de la décoration de son intérieur, faire preuve de bon goût se répandait dans tous les aspects de la vie: dans son talent pour la conversation, son attitude, ses lectures, l'étuis à cigarettes, le style de son poudrier... rien n'était négligé. Apprendre à mettre du goût dans chaque détail c'est sublimer son quotidien d'une touche de raffinement qui fait une grande différence!

Ne méprisez pas l'importance d'une tasse de thé

Véritable moment clé de la journée, l'heure du thé était un moment chargé d'implications sociales, mêlant plaisir et respect des traditions. Le thé c'est avant tout la boisson du partage: quand on le prend ensemble, il rapproche, il invite aux confidences, il enveloppe d'un halo chaleureux et rassurant qui unit les gens entre eux. Pris seul, c'est une invitation à la réflexion et à la détente. Perpétuer cette tradition, c'est faire honneur à l'étiquette mais aussi se chouchouter soi-même!

Entretenez votre culture générale

Le plus grand drame pour un victorien aurait été de manquer de conversation, ou briller par son ignorance. Le cauchemar ultime était d'être la risée du beau monde. Chacun prenait comme un devoir le soin de soigner ses connaissances et d'entretenir son esprit. Pour rester au top et ne jamais flétrir: lisez abondamment, visitez des musées et expos, restez curieux de tout, apprenez à développer votre opinion (solide et bien ficelée de préférence) sur les événements d'actualité, et surtout soyez à l'écoute des autres (c'est la meilleure source d'idées!).

Allez au théâtre

Divertissement numéro un de l'époque Victorienne, le théâtre avait bien plus qu'une fonction: loisir divertissant, valeur éducative, rôle édifiant, mais aussi social et moral. Les apports du théâtre étaient multiples, et sans doute que l'abondance d'alternatives dont nous jouissons aujourd'hui nous a fait oublier la grandeur de cet art immédiat, direct. La puissance d'une pièce qui se joue juste sous nos yeux, et son impact émotionnel, n'ont pas encore trouvé leur pareille au cinéma. Revenons aux sources et vibrons sous l'effet du "live".

Prenez la plume

Que ce soit pour échanger des lettres ou tenir un journal intime, le victorien écrivait beaucoup plus que nous le faisons aujourd'hui. Et cela pour notre plus grand bonheur: pensez à l'héritage aussi complet que détaillé que les victoriens nous ont laissé. Ce qui est écrit reste et demeure pour la postérité. C'est quelque chose d'éternel dans un monde gouverné par l'éphémère. D'autant plus actuellement, quand le virtuel a tellement pris le dessus, il est bon de retourner aux bons vieux stylo et papier, rassurants dans leur matérialité.

Respectez vos valeurs morales

Bien entendu, qui dit Victorien, dit principes moraux strictes et rigides. Loin de les imiter en se contraignant dans un régime moral et comportemental sévère et inflexible, il y a de quoi s'inspirer dans leurs codes. Le souci de la bienséance, de la vertu et de l'honnêteté sont autant de lignes de conduites qui poussent tout un chacun à s'améliorer. Si le fait d'être prude ne semble plus avoir sa place dans notre monde, un peu de retenue et de dignité est exactement ce dont nous avons besoin. Définissez vous-même vos principes, placez les limites où vous jugez juste, et tâchez de rester fidèle à vos propres principes.

Voilà comment prendre ce qu'il y avait de meilleur dans l'époque Victorienne et l'appliquer et l'adapter à nos vies actuelles. N'oubliez pas non plus de lire (ou relire) les grands chef-d’œuvres de l'époque, qui sont pleins d'enseignements et résument si bien à eux seuls l'âme même de cette ère de l'histoire.

vendredi 26 février 2016

Comment trouver l'inspiration à travers la littérature


On peut lire pour une quantité de raisons: pour se détendre, pour se divertir, pour apprendre, pour s'évader,... Mais je pense que l'une des fonctions les plus nobles de la lecture, c'est sa capacité à nous inspirer. Inspirer des idées, une façon de vivre, de la consolation, l'envie de devenir meilleur... L'inspiration est ce qui nous permet de grandir et de nous rapprocher d'un idéal. Sans inspiration, la vie serait morne et n'aurait pas de moteur. On peut la rencontrer dans un personnage auquel on s'identifie, ou dans un acte qui suscite l'admiration, un lieu qui fait écho en nous, une philosophie qui nous parle... Mais comment, précisément, trouver cette précieuse inspiration au fil de nos lectures? Voici quelques pistes.

Ne pas craindre les classiques

Si les grands classiques ont survécus à l'épreuve du temps, c'est qu'ils n'ont jamais fini de dire ce qu'ils ont à dire. Depuis des siècles, des auteurs de grand talent ont pris pour tâche de transcrire les maux et les joies de l'existence, de ce que cela signifie d'être en vie. Leurs œuvres représentent une véritable mine d'or qui décrit, explique et parfois suggère des remèdes à toutes les difficultés imaginables. Que l'on cherche des modèles ou de la consolation, les classiques ont toujours quelque chose à proposer.

Chercher les analogies

Si parfois nos lectures nous emmènent bien loin de notre situation réelle, elles sont souvent bien plus proches de nous que l'on pourrait se l'imaginer. C'est en faisant des liens, des rapprochements ou des parallèles entre notre vécu et les mésaventures de nos héros préférés que l'on trouve des réponses à nos propres questionnements personnels. Chaque expérience de lecture d'un même livre sera différente d'un individu à l'autre, et c'est justement parce qu'en lisant un livre, on y met une part de soi.

Ouvrir ses horizons

Songez comme le monde est vaste, et comme on est parfois étroitement enfermé dans notre réalité immédiate. Pensez à tout ce que l'on néglige de découvrir par ignorance ou parce que l'on se contente de ce qui nous est familier. En osant dépasser nos frontières (géographiques, philosophiques, temporelles, etc.), c'est là que les plus belles découvertes se font.

Prendre des notes

Le simple fait d'écrire aide avantageusement la mémoire. Qu'il s'agisse de recopier un passage marquant, une idée que le livre a fait naître en nous, une réflexion sur un personnage,... ce que l'on couche sur papier prend une forme concrète et s'inscrit d'autant mieux dans notre esprit. De plus, l'action même d'écrire débloque le flot des idées, et on est parfois étonné de voir où notre réflexion nous emmène une fois qu'on s'atèle à l'écrire.

Lire avec un esprit critique

Bien sûr, le lecteur qui espère tirer quelque chose de sa lecture lira de manière active, il ne se contentera pas d'absorber le contenu du livre comme un oisillon ingurgite tout ce que sa maman laisse tomber dans son bec. Pour atteindre les profondeurs d'un livre et en tirer l'enrichissement qu'il promet, il faut garder un esprit critique. Rebondir sur les questions que l'on rencontre, approfondir une idée suggérée, analyser les personnages,... bref, se mettre sur le mode réflectif plutôt que contemplatif.

En appliquant ces quelques attitudes lors de vos lectures, vous verrez que l'expérience en sera d'autant plus riche. Les apprentissages et le réconfort que l'on peut trouver dans la littérature sont infinis, et le petit effort qu'ils demandent pour se révéler en vaut grandement la peine.

mardi 9 février 2016

Moins d'écrans pour plus de bien-être


Au cours de ces derniers mois, j'ai drastiquement diminué le temps que je passe en face d'un écran (télévision et internet). Ce n'était pas une volonté de ma part, mais plutôt un concourt de circonstances qui m'a fait découvrir malgré moi les bénéfices d'un quotidien avec moins d'écrans.

Tout d'abord, des travaux dans le salon (qui ont duré près d'un mois) ont rendu l'usage de notre télévision impossible. Si cette situation était plutôt frustrante au début, j'ai été surprise de voir à quelle vitesse je m'y suis habituée. Le réflexe d'allumer la télévision aussitôt posée dans le fauteuil m'a vite abandonnée, et après une semaine ou deux ça ne me manquait plus. Je me suis aperçue alors du temps que je passais à regarder des programmes qui parfois ne me plaisaient même pas vraiment, et ce temps me semble à présent être perdu inutilement.

Pour ce qui concerne internet, je suis moins certaine de ce qui a fait diminuer mon utilisation. Un bon nombre de lectures absorbantes, un désintérêt progressif pour les applications sur lesquelles je pouvais passer des heures (je pense aux réseaux sociaux, notamment, ou les sites tels que Buzzfeed, le Huffpost et autres). Sans doute aussi que l'absence de télévision y est pour quelque chose: d'abord parce que la plupart du temps que je passais sur lesdites applications, je le passais devant la tv, ensuite parce que la réalisation que je perdais mon temps à la regarder m'a fait ouvrir les yeux sur le temps que je perdais aussi sur internet.

Le résultat de ce sevrage involontaire est surprenant. Je continue de maintenir ma consommation d'écrans à un faible niveau, sans pour autant m'en passer complètement, et sans devoir faire d'efforts considérables. Et je me sens de manière générale, bien mieux. En résumé, voici en quelques points principaux les bénéfices que je tire de cette expérience.

  1. L'avantage le plus évident est bien entendu le gain de temps, que je peux investir autrement (entendez: mieux). Plutôt que de zapper paresseusement jusqu'à trouver un programme sinon passionnant, au moins plus regardable que le reste, je décide maintenant de ce qui me tient occupée. Je ne veux plus être à moitié intéressée: quand je m'investis dans une activité, je m'y plonge totalement et je la fais parce que je le désire réellement. Pour moi ça veut dire plus de temps à lire, à échanger avec mes proches, ou à jouer au piano. En somme, des activités plus satisfaisantes et plus enrichissantes.
  2. Prendre mes distances par rapport à internet et à la télévision m'a aussi libéré l'esprit. Toutes ces informations que je recevais (souvent en même temps, quand je parcourais les applications sur mon smartphone en regardant distraitement la télévision) m'encombraient la tête, et plutôt que de m'enrichir et d'emmagasiner des connaissances, j'étais juste noyée et mon esprit était embrouillé. Je constate maintenant que mes pensées sont plus claires, mieux dirigées et ne vont plus dans tous les sens. 
  3. Mon niveau de stress a réellement diminué. La nervosité liée, d'abord au bruit, ensuite à l'exposition à tant d'informations, m'a quittée. J'avais comme une frénésie "d'être au courant", une angoisse de "manquer quelque chose d'important". Cela me semble dérisoire à présent. Car finalement, toutes ces choses dont je m'abreuvais n'étaient pas si importantes que cela. Je me sens détachée de ce besoin compulsif de "savoir", et je le vis comme une libération. Je suis maintenant libre de donner mon attention à ce que je juge important pour moi.
  4. En conséquence de tout cela, je me sens aussi plus satisfaite de ce que j'ai. Un bon livre, sans distraction aucune, me suffit. J'ai en horreur les publicités, qui implantent en nous des désirs qui ne nous appartiennent pas. Et internet est encore plus vicieux que ça: en parcourant les réseaux sociaux, en contemplant des tas et des tas d'images (sur Pinterest, par exemple) qui nous font rêver, ou en se confrontant aux recommandations sans fin dur Amazon ou autres sites de vente, on finit par être frustré en permanence. On vit sur le mode de l'envie, au lieu de se contenter et de se satisfaire de ce que l'on a.
  5. L'utilisation que je fais encore d'internet et de la télévision a, par la même occasion, gagné en qualité. Je ne regarde la tv, par exemple, que quand il y a un film ou une série que j'ai vraiment envie de voir. Je ne reste plus devant l'écran si un programme ne me plait pas. Quant à internet, même si j'ai perdu mes habitudes (telles que vérifier Facebook dès le réveil, ou sortir mon smartphone devant la tv) et que j'y vais beaucoup moins souvent, je ne l'ai pas complètement déserté, et je trouve beaucoup de plaisir à y flâner de temps en temps (et surtout à tenir ce nouveau blog!).
En somme, je me suis naturellement défaite d'habitudes qui ne faisaient rien pour améliorer mon quotidien. Je pense que si j'ai décroché spontanément, sans le vouloir expressément, c'est que ces habitudes ne me convenaient pas et que j'étais prête pour un changement. Et je profite maintenant des bienfaits de ce changement, et je le recommande vivement! Avec moins d'écrans au quotidien on a plus de contrôle, plus de satisfaction, plus de sérénité et tout simplement plus de qualité dans sa vie.

jeudi 4 février 2016

Quelques bonnes raisons de lire "Guerre et Paix"


Avec la sortie récente de l'adaptation en série de la BBC, Guerre et Paix revient sous les feux de la rampe. Chef-d'oeuvre incontestable de la littérature, le roman de Léon Tolstoï n'est néanmoins pas aussi lu qu'il le mériterait. Est-ce son statut qui impressionne? Ou sa longueur légendaire qui rebute? Les raisons qui éloignent les lecteurs du livre doivent être nombreuses. Mais quelles qu'elles soient, je ne pense pas qu'elles fassent le poids face aux raisons qui font qu'il vaut la peine d'être lu. Sans plus tarder, voici pourquoi lire Guerre et Paix.

Il est accessible

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, il ne s'agit pas d'un livre compliqué à lire. La langue est simple, sobre et fluide. Le style est plutôt factuel, sans fioritures inutiles. Et bien qu'étant un long roman (avec plus de 1600 pages) il se lit avec aisance et est captivant du début à la fin, au point qu'on s'arrête difficilement de le lire une fois commencé!

Il est fort, beau et puissant

Le roman de Tolstoï est plein de moments forts, de passages émouvants, d'événements bouleversants. Il parle à son lecteur parce qu'il touche à ce que nous avons tous en commun: les épreuves et les joies de l'expérience humaine. Il y a de la grandeur, pas seulement dans l'ampleur et l'ambition du livre, mais dans les sujets qu'il couvre et son exploration de l'âme humaine.

Il est proche du lecteur

Tolstoï est un orfèvre dans ses portraits aussi fins que réalistes. On s'attache aux personnages et on finit par s'identifier à eux, partageant leurs peines et leurs joies. Ils deviennent comme des compagnons, des amis que l'on a hâte de retrouver. Par ses thèmes aussi, le livre est proche de son lecteur: toutes les expériences imaginables sont explorées (aimer quelqu'un qui ne nous aime pas en retour, subir de mauvaises influences, trahison, amitiés qui résistent au temps, recherche de son identité...). On y trouve toujours un thème qui nous parle.

Il est plein de sagesse

En suivant les parcours de vie de nombreux personnages, le livre ne manque pas de leçons à tirer. Sans être moralisateur, Tolstoï relate simplement les aventures et mésaventures de ses personnages, ainsi que leurs réflexions, et laisse au lecteur le soin d'en prendre ce qu'il veut au passage. On en sort rempli d'expériences et d'apprentissages par procuration. Sans parler des passages purement philosophiques, qui amènent le lecteur à réfléchir et l'élèvent au-dessus de l'intrigue, entraînant sa pensée vers des zones plus abstraites mais tout aussi enrichissantes.

Il est atemporel

Si les événements décrits sont très spécifiques à un lieu et une époque particuliers (la Russie Impériale du début du XIXème siècle), leur portée n'en est pas moins universelle. Le lot de ses personnages est celui de tout être humain. Les leçons, les apprentissages et surtout le développement des personnages gardent leur valeur pour le lecteur d'aujourd'hui.

Il est unique

Guerre et Paix ne ressemble à aucun autre roman. Il est à la fois vaste et intimiste, brutal et touchant, beau et triste. L'expérience qu'il propose à sa lecture n'a pas sa pareille. Et bien que certaines adaptations soient très bien faites, aucune n'égale le livre dans toutes ses dimensions stylistiques, narratives et humaines.

Je ne peux que recommander cette lecture, qui demande peut-être un certain effort du lecteur, mais a tellement à offrir en retour. C'est un livre d'une très grande richesse qui ne demande qu'à être lu pour révéler ses nombreux trésors.

lundi 1 février 2016

"A Calendar of Wisdom": la sagesse selon Tolstoï

Cet ouvrage se présente, comme son nom l'indique, sous forme d'un calendrier. Léon Tolstoï y a rassemblé les préceptes qui forment sa philosophie, glanés ici et là, sous formes de citations d'auteurs ou de ses propres réflexions. Chaque jour de l'année reçoit un thème qui est développé en quelques citations. Véritable recueil de sagesses, ce livre est le parfait compagnon pour ceux qui sont en perpétuelle recherche de vérité.

Les thèmes abordés, et qui sont chers à Tolstoï, sont relativement limités. Religion, savoir-vivre en société, recherche du bonheur, état de nos connaissances, sont quelques uns des sujets qui reviennent le plus souvent. Bien que certaines pensées (notamment en matière de religion) peuvent paraître désuètes, voire carrément bigotes, l'ensemble représente un merveilleux concentré d'apprentissages qui peuvent servir au lecteur et alimenter sa pensée.

La portée de ce recueil est telle qu'il reste tout à fait au goût du jour, près d'un siècle et demi après sa parution. Il nous met en garde, par exemple, contre le matérialisme ambiant, et avise de ne pas accorder trop d'importance à nos possessions: un conseil on ne peut plus actuel à l'époque de la tyrannie de la surconsommation.

Un autre conseil que je trouve très parlant encore aujourd'hui (d'autant plus, en fait, qu'à l'époque où Tolstoï écrivait) est la préconisation contre le désir d'engloutir le plus possible de connaissances, sans y faire de tri préalable. Pour Tolstoï, il est important de faire la différence entre les connaissances qui nous seront utiles, qui peuvent nous faire avancer, et celles qui ne font que nous encombrer et nous éloigner de notre quête de vérité. Je trouve cela particulièrement pertinent de nos jours, quand une avalanche d'informations nous déferle dessus quotidiennement.

La simplicité, le minimalisme, sont en fait les maître-mots de la philosophie qui se dégage de ce livre. Faire mieux avec moins. Se concentrer sur l'essentiel. Rendre les choses plus simples, pas seulement dans ce qui est matériel, mais aussi dans notre esprit. Dans un monde qui devient de plus en plus complexe, ce retour vers une certaine frugalité a quelque chose d'apaisant. En lisant ce livre, je me suis souvent rappelée qu'il était finalement possible de se simplifier la vie, de s'extirper de temps à autre de la toile noueuse et emberlificotée qu'est devenue notre réalité.

Ce livre donne envie de donner le meilleur de soi-même, de s'améliorer et de développer ses propres sagesses. Et de trouver le courage de les appliquer. Car, comme Tolstoï l'indique lui-même, suivre le parcours de ce que l'on considère comme sage est loin d'être aisé. Cela implique des efforts, et souvent d'aller à l'encontre du flot. Mais au final, sans préceptes et sans ligne de conduite, on ne fait que se perdre et se disperser. Le chemin que nous propose Tolstoï - il ne s'agit pas tant d'appliquer à la lettre ses idées à lui, mais plutôt de s'en inspirer -  mène à un idéal: celui d'être vrai par rapport à soi.

Résultat d'une vie entière de réflexions, A Calendar of Wisdom est un livre qui se lit et se relit. On y retourne, on y réfléchit, on y ajoute nos propres commentaires. Il aide et accompagne dans notre parcours philosophique personnel et il n'a jamais fini de partager son infinie sagesse.