mardi 31 mai 2016

Pourquoi Shakespeare?


Je suis une grande fan de William Shakespeare. Entendez par là: fervente admiratrice à l'enthousiasme explosif à la limite de la groupie. Je trépigne de joie quand je vais voir une de ses pièces de théâtre, je frémis de bonheur quand j'en lis une et parfois, j'ai des papillons dans l'estomac rien que quand je pense à lui et à l'héritage qu'il nous a laissé (oui, ça va vraiment jusque là). En fait, il est une source inépuisable d'exultation pour moi. Une passion que j'aimerais tant pouvoir partager avec les autres, mais le plus que je peux échanger sur le sujet se résume malheureusement souvent aux films de Kenneth Branagh, à Léonardo Dicaprio en Roméo ou à Shakespeare in Love (toutes de bonnes références en elles-mêmes, mais bien sûr, Shakespeare ne se résume pas à ça...). Je trouve cela tellement dommage que tant de gens passent à côté de cet auteur de génie, n'osent pas le lire parce qu'ils sont persuadés que c'est trop compliqué, sont réticents à aller le voir en production théâtrale parce qu'ils pensent s'y ennuyer, ou ne lui manifestent simplement aucun intérêt par pur préjugé et ignorance. Ce article a pour but de démystifier Shakespeare, de briser le solide carcan d'idées reçues qui le protège du grand public, et de vous démontrer pourquoi je l'adore. Il ne s'agit nullement de vous convaincre, mais juste de vous présenter une autre façon de voir le Barde et vous inviter peut-être à lui donner une chance.


Dédramatisez!

William Shakespeare: rien que son nom évoque les hautes sphères inatteignables de l'intellect, un univers réservé à une poignée d'érudits (et qui n'amuse qu'eux). Voilà l'image à laquelle il est souvent associé dans l'inconscient collectif. Mais c'est oublier qui il était réellement de son vivant. Permettez-moi de l'appeler Willy, histoire qu'on se détende un peu et qu'on ne se crispe pas à la simple évocation de son illustre patronyme. Willy, donc, était un dramaturge et acteur de la fin du 16ème siècle et début du 17ème. A cette époque, le théâtre était un loisir hautement prisé qui amassait aussi bien les masses populaires que l'aristocratie avec à leur tête le/la monarque. Toutes les couches de la société se précipitaient avec le même enthousiasme pour assister à la dernière pièce de ce bon vieux Willy. Ce n'est qu'avec le temps, au cours des siècles, qu'il a été adulé comme une divinité, élevé au rang des plus grands poètes et qu'une élite intellectuelle s'est emparé de son image pour se l'accaparer presque exclusivement. Ce monopole n'a pas réellement lieu d'être. Willy, c'est avant tout un auteur du peuple, qui écrivait pour tout le monde et n'aspirait qu'à toucher le plus de gens possible (donc, vous y compris!).

Shakespeare, c'est nous

S'il était proche de son public, Willy savait le toucher (je ne veux pas dire littéralement, quoique ce soit vrai aussi...). Les personnages de ses pièces, aussi éloignés de nous qu'ils puissent vous paraître, partagent les mêmes émotions que nous, les mêmes tourments, les mêmes dilemmes. Ils nous parlent parce qu'ils sont humains et qu'ils formulent (grâce à cette plume miraculeuse, à laquelle je reviendrai plus tard) ce que nous ressentons de manière diffuse et ne parvenons pas à mettre en mots. Qu'il écrive sur des rois, des paysans, des soldats ou des adolescents amoureux, Willy était capable d'infuser ses pièces de thèmes tellement universellement humains, que quatre siècles plus tard, on s'y retrouve encore. Le chagrin, par exemple, paraissait allonger le temps alors comme aujourd'hui, ainsi que le dit Bolingbroke dans Richard II: "Grief makes one hour ten". Qui ne connaît pas ce sentiment? Ce genre d'identification est une des richesses du canon shakespearien, parce que ses textes débordent de vie et que ses personnages sont des miroirs qui nous sont tendus.

Il est accessible

La langue de Shakespeare est bien souvent réputée pour être opaque et difficile à percer. Que l'aspect poétique de ses textes soit perçu comme une barrière est une réalité qui me désole. Bien sûr que personne ne s'exprime en vers dans la vraie vie; bien sûr qu'il y a un degré d'invraisemblance à surmonter avant de pleinement profiter d'une de ses pièces. Mais cela ne le rend pas pour autant inaccessible. Prenez n'importe quel film actuel: vous avez une impression générale de familiarité avec le langage utilisé, vous pensez retrouver la même manière de s'exprimer dans laquelle vous baignez au jour le jour. Pourtant, si on devait réaliser un film dans lequel les personnages s'expriment comme nous le faisons réellement, le résultat serait confus, non-linéaire et particulièrement désagréable à suivre. La vérité est que toute forme de fiction (que ce soit un film, une pièce de théâtre ou un roman) est régie par tout un système de conventions auxquelles on se plie parce qu'on y est habitués. Les conventions qui étaient de vigueur au temps où Shakespeare écrivait ont peut-être changé depuis, mais ses dialogues ne sont pas moins naturels que les échanges qui ont lieu dans votre série préférée. Vous y êtes juste moins habitués.

Des mots, des mots, des mots

Quel est-il, justement, ce style si spécifique? La plupart des dialogues de ses pièces sont en vers, un mode auquel nous ne sommes plus très habitués aujourd'hui. Et il était un fameux poète, ce Willy. La pure beauté de son langage laisse parfois (paradoxalement pour un dramaturge) sans voix. Ce qui m'émeut le plus dans ses textes, c'est l'infinie justesse de son propos, qu'il habille d'élégance, mais presque sans effort. Un de ses contemporains aurait un jour affirmé que Shakespeare écrivait sans la moindre rature, d'un seul jet. Que cette légende soit vraie ou non, l'effet qui est produit par son langage est une impression de poésie naturelle qui découle directement du cœur de ses personnages et déverse son flot de vérités sur l'existence de la plus sublime manière qui soit. Si personne ne parle en vers dans la réalité, peut-être est-ce la meilleure façon d'exprimer la réalité du cœur humain. Les histoires racontées par Shakespeare ne sont pas à elles seules dignes de la postérité dont il bénéficie. C'est le langage dans lequel il leur donne vie qui les sublime et qui lui vaut le nom de génie.

Il y a des outils

Le problème de non-familiarité avec sa langue en rebute beaucoup, ce qui est bien dommage. Je ne prétends pas qu'un lecteur actuel puisse lire une pièce et en saisir l'entièreté du sens spontanément et sans effort. Mots désuets, formulations obscures, références culturelles, sont autant de difficultés qui peuvent mettre un frein à la compréhension. Mais il existe une quantité infinie (littéralement infinie) de sources d'aide. Tout d'abord, je ne peux que recommander de lire les notes de bas de pages. Certaines éditions font un travail brillant pour éclairer la lecture. Il y a ensuite toutes sortes de livres sur Shakespeare écrits pour le grand public (des auteurs comme Bill Bryson, Ben Crystal ou Jonathan Bate) et qui étofferont votre connaissance du monde du Barde et sa manière d'écrire. Enfin, et là il n'y a plus de limites, il y a internet. Je suis loin (très loin) de connaître tous les sites de références existants, mais tapez simplement le titre d'une pièce dans votre moteur de recherche et vous trouverez tout ce dont vous pourriez avoir besoin et plus encore. Mais j'entends déjà des protestations: pourquoi irais-je lire quelque chose de tellement compliqué que j'ai besoin "d'aide" pour le comprendre? Ce qui m'amène au point suivant.

Il est infini

Il n'existe pas une bonne manière de comprendre ni le texte, ni les pièces de Shakespeare. Si Hamlet est plus difficilement abordable qu'un épisode de Friends, sa portée est aussi infiniment plus large. Le génie de Shakespeare est qu'il est parvenu à laisser suffisamment d'espace entre son texte et l'interprétation qu'on peut en faire. C'est précisément dans cet espace que ses pièces fleurissent dans tout leur potentiel infini. Comparer différentes productions d'une même pièce est justement pour cette raison très intéressant et enrichissant. Une seule et unique ligne peut être interprétée de différentes manières, et chaque acteur, chaque réalisateur, apporte une nouvelle approche au texte. Ne vous formalisez donc pas si une explication ne vous plait pas ou reste obscure pour vous. Vous êtes l'acteur principal de votre expérience de Shakespeare. N'oubliez pas qu'il écrivait pour le grand public, pour faire vibrer les cœurs, et non pour échauffer les méninges de quelques savants hautains. Prenez ce que vous voulez prendre, ne soyez influencé que par ce que vous approuvez, et rejetez les commentaires qui vous donnent la nausée.

C'est que du bonheur!

Lire ou voir une pièce de Shakespeare n'est pas une activité passive: adaptation à un langage inhabituel, concentration accrue, attention aux détails, esprit éveillé et ouvert à la réflexion... ce sont autant d'efforts que le lecteur/spectateur doit fournir. Mais pour quelle récompense! Les joyaux que vous découvrez alors valent mille fois le moment de divertissement facile et fugace que nous livrent la plupart des films ou séries actuels. Et j'ai une bonne nouvelle pour vous: plus on s'expose à Shakespeare, plus on se familiarise avec son style et plus on l'apprécie facilement. Oubliez le dur labeur qu'un professeur inflige à ses élèves pour décortiquer le monologue "être ou ne pas être". Laissez-vous porter par une langue qui fait ses preuves depuis plus de quatre cents ans, et laissez-vous surprendre!

mardi 17 mai 2016

L'écriture thérapie: quand les mots font du bien


Dans un article précédent je vous présentais le concept du commonplace book. Aujourd'hui c'est à un tout autre usage que je vous suggère de consacrer un carnet: celui de votre développement intérieur. L'écriture est un compagnon idéal dans la recherche de son épanouissement et un outil hors-pair pour parcourir ce cheminement personnel. Voici comment.

Les adeptes de la psychanalyse vous diront que la parole libère. C'est aussi vrai de ce qui est écrit. Imaginez-vous en thérapie, face à un psychiatre ou psychologue. Vous lui parlez librement, vous déchargez votre bagage émotionnel, et en sortant de votre consultation, vous vous sentez déjà plus léger. Vous vous êtes débarrassé d'un poids. L'écriture peut avoir cet effet là. Prenez votre stylo et un joli carnet, et déversez les mots comme ils vous viendraient en parlant. Le psy est remplacé par la page, qui reçoit le flot de vos mots sans le moindre jugement.

Le lâcher-prise est ici très important. N'écrivez pas avec l'idée de vous relire, de formuler de belles phrases ou de passer sous silence ce qui est moins "joli" ou "plaisant". La censure doit être brisée pour que votre âme se lâche et puisse se libérer de ce qui l'encombre. Le souci de la belle forme ne doit pas intervenir, au risque de vous freiner. Cela dit, vous n'avez rien à perdre à chercher la précision, l'exactitude et les termes justes. Plus vous essayerez de vous exprimer avec justesse, plus vous vous rapprocherez de votre vérité intérieure.

Ecrivez sur tout ce qui vous touche. Les petits tracas, les gros chagrins, les joies infimes du quotidien et les projets qui vous animent. Ecrivez sur un moment précis de votre journée, une difficulté rencontrée ou une angoisse particulière. Décrivez le concret, le vécu, mais aussi les pensées et réflexions qui vous travaillent. Développer un raisonnement et voyez où il vous mène. Quand on met ainsi les choses à plat, elles deviennent plus claires, plus ordonnées et plus limpides.

Ce qui vous étonnera en premier lieu, ce sera la lucidité que cet exercice vous apportera. En mettant des mots entre vous et votre ressenti, vous gagnez une perspective qui vous permet de mieux comprendre ce que vous vivez. C'est comme un travail d'interprétation, il faut traduire le vécu en termes et en phrases que le cerveau décortiquera plus facilement. Vous comprendrez mieux vos propres sentiments, vos mécanismes, votre manière de penser et de voir le monde. Et à partir de là, il vous sera toujours plus clair où vous désirez aller.

Ensuite vient la sérénité. Comme je disais plus haut, en écrivant sur un problème c'est comme si on s'en libérait. Prenez le problème du stress, par exemple, qui bien souvent nous empêche d'être au meilleur de nos performances. Une étude à l'Université de Chicago a prouvé les effets thérapeutiques de l'écriture pour vaincre l'angoisse. On a divisé un groupe d'étudiants en deux. Juste avant un examen, il a été demandé aux étudiants de l'un des groupes d'écrire sur leur peur d'échouer. Ceux-ci ont finalement obtenu des résultats supérieurs à ceux de l'autre groupe! Il est donc possible de se débarrasser des effets négatifs du stress (au moins en partie) rien qu'en le couchant sur papier.

Ecrire pour aller mieux et pour s'améliorer est une véritable technique qui fonctionne. C'est facile, ça fait du bien, et sur le long terme, on peut en ressentir de réels bienfaits. Un peu chaque jour, où seulement quand vous en avez besoin, prenez la plume et confiez-vous au papier. Vous vous y découvrirez vous-même, et vous vous sentirez plus libre et léger de jour en jour.