lundi 18 janvier 2016
La communication avant le téléphone
Bien que l'invention du téléphone ait été un avancement considérable qui a grandement amélioré notre quotidien, je considère toujours avec intérêt la période qui a précédé son avènement. Quand parler avec quelqu'un signifiait automatiquement être en sa présence; quand les messages urgents devaient être télégraphiés, ou bien postés; quand aucune immédiateté n'était possible entre deux lieux séparés. La facilité avec laquelle on peut se joindre les uns les autres aujourd'hui a, je le pense, un peu terni notre façon de communiquer.
Grâce au téléphone, il est possible de parler avec une personne qui se trouve dans un autre lieu. Cela a dû ressembler à de la magie pour les premiers à l'avoir utilisé. Jusque là, être séparés physiquement rendait toute communication directe impossible. Une sensation que nous ne connaissons plus. Appels, messages textes, mails... nous avons à notre disposition tellement de moyens d'entrer en contact avec les absents, et avec une rapidité telle que bien souvent, ne pas recevoir de réponse immédiate est source de frustration.
Autrefois, il fallait ou bien se déplacer soi-même, ou bien attendre le temps qu'une lettre atteigne sa destination, que la personne réponde, et à nouveau que la réponse nous arrive. Cette attente était inévitable. Et plus le correspondant était éloigné, plus l’intervalle était long entre chaque lettre. Autant dire qu'on vivait la distance de manière concrète. Mais cette attente n'était pas vide, elle était pleine de l'expectation, la hâte d'entendre des nouvelles de l'autre. Et le plaisir n'en était que plus intense à l'arrivée de la lettre tant attendue, à la rédaction de celle qu'on s'apprêtait à envoyer en anticipant la réaction du correspondant.
Aujourd'hui, nous n'attendons plus, et nous sommes devenus impatients. Pour un rien, on se contacte. La rapidité est prise pour acquise. Mais en même temps on a perdu tout ce qu'il y avait dans l'attente d'autrefois. Le temps que l'on passait à penser à l'autre, l'attention et le soin que l'on portait à ses écrits, l'intérêt pour l'autre et ce qu'il avait à nous dire, l'anticipation grandissante. Aujourd'hui, si on a quelque chose à dire à un ami, on l'appelle, on lui demande, il répond, et on passe à autre chose. L'investissement que l'on mettait jadis dans nos communications, nous l'avons perdu.
Prendre des nouvelles ne met pas plus de quelques minutes. Avant, si on voulait savoir comment se portait un voisin, on se déplaçait chez lui, et on partageait un long moment à échanger ensemble. Il y avait une dimension d'effort que nous sommes entrain d'oublier. Parce que communiquer n'est pas seulement se dire ce qu'on a à se dire, c'est aussi donner de son temps et de son attention à l'autre. Avant le téléphone, chaque moment passé ensemble était précieux, parce qu'on savait qu'entre une visite et une autre, on ne se parlerait plus directement. On donnait sa juste valeur aux instants partagés.
Ainsi, la trop grande aisance apportée par le téléphone (et toutes les autres technologies de communication qui ont suivi) nous a fait perdre notre patience et notre appréciation. Avec l'anéantissement des distances (qui ne sont plus rien pour nous quand on veut se parler), c'est notre considération pour chaque mot partagé qui a diminué. Les paroles ne valent plus leur pesant affectif ou émotionnel, mais se comptent en termes de minutes et de forfaits. Entendre une voix venant de l'autre bout du pays n'a plus rien de magique; ça va de soi.
Si on se rappelle des difficultés d'autrefois pour entrer en contact avec ceux qui nous étaient éloignés, si on essaye de se mettre dans les souliers de nos ancêtres, alors on peut retrouver un peu de cet enthousiasme perdu. Pensons au parcours, long et lent, d'une lettre vers son destinataire. Pensons aux kilomètres nous séparant physiquement et ce que cela représenterait de les parcourir à pied. Alors la voix qui nous répond à l'autre bout du fil a quelque chose de magique. Alors la joie de se voir pour de vrai redevient précieuse.
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