vendredi 1 janvier 2016

Les Lionnes d'Angleterre: une immersion dans l'histoire

"Les grappes de roses grimpantes [...] fleurissaient en rose, jaune et blanc, certaines épanouies, déjà lourdes, d'autres encore en boutons, serrées dans le corset vert du calice."
Troisième tome de la série Le Crépuscule des rois par Catherine Hermary-Vieille, Les Lionnes d'Angleterre raconte l'histoire du règne d'Henry VIII (1491-1547) à travers ses six épouses consécutives. Cette période de l'histoire me fascine depuis plusieurs années, et des lectures que j'ai faites sur le sujet, celui-ci est un des meilleurs à mes yeux.

Il n'est pas nécessaire de lire cette trilogie dans l'ordre chronologique, et chacun peut être lu indépendamment des autres (j'ai moi-même commencé par celui-ci). Dans ce troisième opus, on est transporté à la cour d'Henry VIII, environ une vingtaine d'années après le début de son règne. Marié à Catherine d'Aragon, avec qui il n'a eu qu'une seule fille, le roi désespère d'avoir un fils pour lui succéder. Ensorcelé par la mystérieuse et intelligente Anne Boleyn, il envisage de répudier sa première épouse. Stratagèmes, complots, manœuvres politiques et débats religieux seront les conséquences de cette situation, qui mettra des années à se résoudre. Ne pouvant recevoir du Pape l'approbation de l'invalidité de son mariage à Catherine d'Aragon, et aidé par un entourage aux idées réformatrices (tels que Cranmer ou Cromwell), Henry se proclame chef de l'Eglise d'Angleterre et rejette l'autorité du Pape. C'est le grand schisme qui donnera (plus tard) naissance à ce que l'on appellera l'Anglicanisme. Mais pour le moment, Henry peut enfin épouser sa chère Anne. Elle sera sa reine durant trois ans. Aussi longue et ardue que fut sa montée, sa descente fut fulgurante et cruelle. Vont lui succéder quatre autres épouses, Jane Seymour, Anne de Clèves, Katherine Howard et Catherine Parr.

Ce roman très accessible nous fait entrer dans les coulisses de la grande histoire, celle que tout le monde connaît, mais dont les détails resteront à jamais obscurs. En employant une narration aux multiples points de vues, Catherine Hermary-Vieille parvient à éviter une vision trop simpliste et uniforme des événements. Les personnages se déploient ainsi dans toute leur complexité et révèlent leurs différentes facettes. Anne Boleyn, par exemple, admirée par les uns, méprisée par les autres, ne souffre pas de l'horripilant réductionnisme auquel la fiction l'a trop souvent contrainte, voulant la ranger dans une catégorie comme la louve impitoyable et calculatrice d'un côté, ou bien l'innocente biche tombée entre les griffes d'un monstrueux prédateur de l'autre. Par la délicatesse de ses analyses, et par les changements de focalisation, les descriptions d'Hermary-Vieille rendent justice à ses personnages qui apparaissent différemment selon l'observateur, et laissent au lecteur la liberté de former sa propre opinion.

Anne Boleyn et ses dames de compagnie dans la série anglaise Wolf Hall

Ce livre-kaléidoscope réussit aussi très bien dans son évocation d'un monde disparu. L'Angleterre du seizième siècle est ici ramenée à la vie d'une manière quasi sensorielle. Les lieux, les vêtements, les sons et les odeurs sont dépeints de façon très riche par Hermary-Vieille. Son très grand point fort est sa capacité à transporter le lecteur dans une autre époque sans tomber dans l'hyper-explicitation, qui est souvent le défaut des romans historiques. La prose coule de manière naturelle, a un puissant pouvoir d'évocation et entraîne le lecteur dans ses profondeurs avec une désarmante simplicité. Il y a quelque chose à la Dumas dans la vivacité de l'écriture qui est la fois très simple et très visuelle, tout en surprenant régulièrement par une belle phrase qui frappe par sa justesse et son élégance, voire sa poésie.

Et c'est une époque fascinante que celle des Tudor. Une époque où les grandes idées circulaient mieux que jamais avant dans l'histoire, et commençaient à changer le monde. Une époque où les arts occupaient une place importante dans le quotidien. C'était aussi une époque dangereuse, où une maladie pouvait emporter quelqu'un à une vitesse foudroyante, où l'on pouvait mourir pour ses idées si elles n'étaient pas assez conformes. Un temps où être femme était synonyme de soumission et d'infériorité aux hommes, et où celles qui voulaient prendre leurs propres décisions devaient mener un combat acharné et risqué.
Henry VIII dans le documentaire de la BBC,
Henry VIII and His Six Wives

Si dans le livre les mentalités sont parfois adaptées pour mieux correspondre aux sensibilités modernes, c'est sans doute là un penchant inévitable quand on écrit sur le passé. Cela dit, peu de moments m'ont frappés comme étant anachroniques de façon flagrante. Les mœurs de la Renaissance, à la sortie du Moyen-Age, sont parfois tellement éloignées de ce que l'on juge acceptable de nos jours qu'un certain degré d'adaptation est inévitable. Mais là où d'autres romans m'ont déçue par leur sensiblerie exagérée ou par un avant-gardisme qui dépasse les limites de l'anachronisme, Les Lionnes d'Angleterre ne succombe jamais à une trop grande envie de plaire à la sensibilité du lecteur actuel. Bien sûr il est choquant de voir des maris tromper leurs femmes sans que qui que ce soit ne relève un sourcil, mais c'était une réalité de l'époque. L'amour lui-même était un tout autre concept que l'idée que l'on s'en fait aujourd'hui. Juger des personnages historiques sur base de notre morale moderne est une erreur qui ne leur rend pas justice. Hermary-Vieille prend cela en compte tout en ne négligeant pas son lecteur et en soignant les pensées et comportements de ses personnages pour que le lecteur puisse s'identifier à eux et sympathiser avec leurs motivations.

C'est un véritable petit bijou qu'à écrit Catherine Hermary-Vieille. Elle recrée un univers dans toute sa vivacité, sa splendeur, mais aussi sa cruauté, et emmène son lecteur au cœur des engrenages de l'histoire qui, après tout, est faite par des individus qui se croisent et se décroisent, chacun avec leurs désirs, leurs objectifs et leurs motivations.

1 commentaire:

  1. Sa trilogie fait partie de ma PAL. Je compte bien la découvrir cette année, car j'adore moi aussi les Tudors.

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